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L’un des noms qui, dans ces années critiques, méritera le plus justement l’éloge de l’histoire, est celui de Raymundo Villaverde, le restaurateur des finances espagnoles. Homme de réflexion et de recueillement, en un pays où l’on s’emporte volontiers, calculateur et tout ensemble idéaliste, il n’a sans doute manqué à Villaverde que d’être orateur, pour prendre au parlement espagnol le tout premier rang dû à ses exceptionnelles qualités ; ses adversaires politiques eux-mêmes apprécièrent sa mort prématurée comme un deuil national. A ce moment, le roi Alphonse XIII venait (1902) de prêter le serment du souverain majeur, mais il était âgé de seize ans à peine ; on pouvait craindre un soubresaut des passions politiques, auxquelles les malheurs de la guerre et la respectueuse courtoisie de tous les partis avaient mis un frein pendant les heures difficiles de la Régence. Plus que jamais, l’Espagne avait besoin alors de l’estime, de la confiance internationales ; elle s’en est rendue digne par la courageuse exactitude de sa probité, par le renouveau de ses facultés laborieuses ; Villaverde fut un des premiers à comprendre le caractère d’un âge international qui exalte les travailleurs et déclasse les bavards.

La perte des colonies avait privé d’un marché privilégié les industriels de la métropole ; les cotonnades de la Catalogne, à la faveur de tarifs protecteurs, défiaient la concurrence, aux Philippines et dans les Antilles ; de même les blés de Castille, transformés en farine dans les moulins à vent des montagnes du Nord, descendaient sur Santander, d’où ils partaient pour la Havane ; Santander recevait, en échange, des sucres et des rhums. Le traité de 1898 arrêta brutalement ces courans établis ; il ouvrit aux criollos l’espoir de clientèles américaines pour leur sucre ; il les invita à se fournir désormais dans des filatures yankees ou à fabriquer leurs étoffes eux-mêmes ; les grains et farines leur viendront aussi des États-Unis ... De là, parmi les producteurs espagnols, un profond malaise ; ils s’organisèrent pour y remédier et se rallièrent à l’idée de tarifs très protectionnistes, qui les rendraient maîtres du marché intérieur. Tel fut le programme soutenu par une puissante association de Barcelone, le Fomento del Trabajo nacional, et par les métallurgistes des provinces cantabriques. Il n’est pas probable que les initiateurs de ce mouvement aient voulu condamner l’Espagne indéfiniment à l’isolement économique, conséquence du protectionnisme