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Ages... Les voix de cette multitude se fondent en un volume de son qui roule comme une force irrésistible : il semble qu’elle va tout emporter. Les yeux d’Edwin se mouillent et il se demande à lui-même : « Pourquoi diable ai-je envie de pleurer ? » A travers un brouillard il lit les mots : « Le Sang de l’Agneau. » Au-dessus des têtes le soleil brûle. Un orateur par le des tortures éternelles dans les flammes et la soif. Il proclame qu’il n’y a pour personne, non pas même pour les petits enfans qui sont là dans leurs atours de fête, d’autre moyen d’échapper au feu éternel que de se purifier par la complète immersion dans le sang, « Et sa conviction était si forte, si contagieuse, qu’avec un peu d’imagination et un odorat sensible on aurait pu percevoir l’odeur de chair brûlée.» Une nouvelle hymne succède au discours, et elle célèbre le précieux sang :


Dear Dying Lamb, Thy precious blood.


Alors, par une association d’idées, ces mots d’une hymne encore sautent de quelque coin de sa mémoire : « L’Inde aux grèves de corail, » India’s coral strand, et instantanément tout le tableau qu’il a sous les yeux se transforme. Il lui semble qu’il n’est plus en Angleterre ; il lui semble que, dans de sombres caves, sous les abattoirs derrière l’Hôtel de Ville, réside, accroupi, un dieu étrange et sauvage prêt à brûler quiconque ne paraîtrait pas devant lui tout dégouttant de sang. Il lui semble que les tambours sont des tam-tams et le magasin des Baines un bazar : pas un détail de la scène qui ne s’harmonisât pour lui avec la vision d’une Inde aux grèves de corail...

Sous des couleurs moins crues, moins violentes, l’ironie de M. Arnold Bennett n’est pas moins âpre contre la médiocrité des meilleurs sentimens et les comédies de la vie domestique. Il faut voir, en ce genre, le diner de famille, chez les Clayhanger, le lendemain du jour où Darius a été frappé de sa première attaque[1]. Le chapitre est intitulé : « La victime de la sympathie. » On a tenu, le matin, à l’occasion de la visite du médecin, un conclave. A Edwin et à sa sœur se sont joints, pour la circonstance, Clara, l’autre fille, et son mari Albert Benbow, la tante Hamps. Le docteur n’a pas dissimulé que le

  1. Clayhanger, Book III, ch. IV.