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dont il a souhaité la présence. « Elle voyait les blessures d’une âme qui ne pouvait pas cacher ses blessures et cette vue l’irritait. » Chirac part sans entendre un mot de sympathie ni de pitié ; il ne reviendra pas.

Cette antipathie, c’est, manifestement, dans tous les aspects de la France qu’il s’est plu à évoquer, la faiblesse artistique de M. Arnold Bennett. Son réalisme, si sincère et si pénétrant quand il touche aux choses et aux âmes de son pays, prend tout à coup le caractère systématique et artificiel d’un procédé littéraire. Nos « réalistes, » nos « naturalistes » nous ont habitués à ce parti pris de restreindre, de réduire, d’avilir la réalité. Ils commettent une erreur d’art qui fausse leurs jugemens et leurs sentimens. C’est au contraire le jugement et le sentiment de l’auteur, qui, à son insu, et sans qu’il l’ait voulu, a retenti sur son art et l’a comme énervé. M. Arnold Bennett a des « idées » sur la France, sur le caractère français. Il avait trois ans en 1870 : il a donc dû reconstituer et construire les scènes qu’il décrit. Son expérience personnelle a pu le servir et lui fournir des élémens : elle ne lui offrait rien de comparable à ce qu’elle lui donne sur les « cinq villes, » sur ce pays auquel il tient par toutes ses libres et dont, à force de fidélité minutieuse, d’intimité et d’entente, il a su se faire l’interprète en esprit et en vérité.

C’est là qu’il faut chercher, je l’ai dit, la perfection de son réalisme. Là, il ne se mêle à la perception de la réalité aucune conception. M. Arnold Bennett ne juge pas, mais il domine ; il est le spectateur qui se borne à voir, mais qui sait voir, et dont rien ne trouble la vue. Il ne laisse point percer ses propres convictions, comme Rudyard Kipling, Mrs Humphry Ward ou H. G. Wells. L’Angleterre qu’il nous peint est encore l’Angleterre traditionnelle : à une pointe d’ironie seulement, nous devinons l’esprit d’aujourd’hui. Encore cette ironie est-elle, tout aussi bien, chez un Thackeray ou un Dickens. Il y a une part de jeu dans l’art, un libre exercice des facultés, qui implique une sorte de détachement. C’est, je crois, le principe même de l’humour. Celui de M. Arnold Bennett est le plus souvent discret, à peine sensible, tissé fil à fil, si j’ose dire, avec la vérité précise du récit. Mais il sort, parfois, avec plus de couleur ou de relief. Le romancier s’amuse de quelques-uns de ses personnages, qu’il n’aime pas. Il ne charge point les traits ; mais il a