Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/848

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de saleté. La maîtresse de ce logis, Mme Foucault, est une demi- mondaine sur le retour, une créature dégradée, au physique et au moral, sans tenue, sans dignité, sans énergie.

Sophia, consciente de ses vertus héréditaires, la méprise comme une « pauvre chose » et finit par prendre sa place à la tête de la maison qui, aussitôt, se transforme. L’habile Anglaise en fait un confortable asile pendant le siège, — car nous sommes en 1870-1871. Des circonstances aussi graves lui ont permis d’ailleurs d’étendre sa vision de la vie française. Après la haute noce du grand restaurant, la basse crapule de l’exécution capitale, la sordide veulerie du « garni, » — trois jolis aspects, en vérité, de la vie française ! — elle voit le vrai peuple de Paris, la foule : des consommateurs debout sur les chaises et les tables des cafés, des hommes qui jettent leurs chapeaux en l’air et s’embrassent sans se connaître, une actrice qui grimpe sur le siège de son fiacre pour chanter la Marseillaise, de frénétiques clameurs : « Vive la France ! Victoire ! A Berlin ! Victoire ! » Ce spectacle lui a donné « la conviction intime que la race capable de se conduire ainsi était condamnée à la défaite. » Enfin elle a vu de plus près deux ou trois Français. Son épicier, M. Niepce, après avoir expédié en province femme et enfans, est devenu le pensionnaire de la jeune femme. Ce vieux boutiquier cossu, que la détresse de ses concitoyens enrichit encore, lui offre 2 000 francs par mois, avec l’épicerie à discrétion, si elle consent à lui accorder ses faveurs. Le journaliste Chirac est plus galant homme, encore qu’il finisse lui aussi, naturellement, par en venir aux mêmes conclusions que l’épicier. Ne sommes-nous pas tous comme cela en France ? Et vous ne vous attendiez point, n’est-ce pas ? à trouver chez nous les vertus anglaises. Chirac, aussi bien, n’est point dépourvu d’esprit, ni de bonne humeur, ni de bonne grâce. Mais quel pauvre garçon, mobile, impressionnable et nerveux ! Au moment même où il déclare son amour à Sophia avec le respect le plus tendre et la plus fervente admiration, « ce qu’il y avait de théâtralité latine dans les gestes et le ton du jeune homme lui faisait de la peine pour lui. » Sentez-vous la supériorité anglo-saxonne ? Chirac n’a plus qu’à faire une belle sortie, comme il convient à un héros de théâtre. Il n’y manque pas, et c’est, en effet, une « sortie » qu’il opère, dans un des ballons du siège. Et sans doute, ce jour-là, toute la galerie l’admire, mais non pas Sophia,