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faites et de croyances qu’on n’examine point. Nous entrevoyons, dans un banquet, « l’oligarchie qui, derrière les apparences du gouvernement démocratique, se trouvait en fait gérer, diriger et contrôler la ville. » Ecoutons les toasts, ou plutôt ce que nous en dit l’historiographe fidèle de la cité et des citoyens.


Tous les États du royaume, et toutes les institutions du royaume et de la ville, et tous les services de guerre et de paix, et toutes les castes officielles se virent payer généreusement et de bon cœur leur tribut de louanges ; on but à leur santé et prospérité avec une ferveur enthousiaste. L’organisme de l’Empire fut déclaré essentiellement parfait. Aucun personnage important, de Sa Majesté la Reine aux « ministres de l’Église établie et autres dénominations, » ne fut oublié dans cette proclamation de suprême excellence et de capacité. Et même, quand un alderman, proposant le toast « de la ville et du commerce de Bursley, w fit mention de certains symptômes troublans dans la conduite des basses classes, il exprima aussitôt son ardente conviction que « le cœur du pays battait loyalement, » et fut en manière de réconfort applaudi avec gravité.


M. Arnold Bennett n’a déjà plus tout à fait l’esprit des acteurs de cette scène, puisqu’il l’observe et la décrit en spectateur dont le détachement suffit à laisser percer quelque ironie.

Mais c’est surtout à regarder de plus près dans les maisons et les âmes qu’il est incomparable de précision et de vérité. Nous pénétrons tour à tour dans la boutique des Baines, dans la chambre où le père infirme git sur son lit de paralytique, veillé par une cousine pauvre ; dans les ateliers de l’imprimeur Clayhanger et le vieux logis attenant, puis dans la maison neuve qu’il s’est fait bâtir un peu en dehors de la ville par l’architecte Orgreave ; nous entrons chez les Orgreave aussi, dans cette demeure plus riche, plus élégante, animée de nombreux enfans et pleine d’entrain. Nous nous familiarisons peu à peu avec ces figures, ces âmes, ces mœurs. En assemblant tous les traits où s’accusent les manières de penser et de sentir, les méthodes de commerce et d’éducation, le genre de vie, nous voyons se dessiner insensiblement l’image d’une petite société où l’intelligence ne s’affranchit pas de l’empirisme, et où ce ne sont point des idées abstraites, des conceptions générales qui gouvernent les esprits. Chacun ici est de sa ville, de sa condition, de son temps ; chacun est au plus haut point lui-même. Si tous les hommes tendent a se rapprocher et se confondre par leurs facultés abstraites et universelles, les personnages de M. Arnold Bennett sont, au contraire, tout à fait particuliers et