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méchans qui règnent dans Paris, nous aurions la peste et ils en crèveraient.

Ma colonelle Agnès est dans sa garnison d’Auxerre, toujours contente de son bon soldat qui lui a appris à l’appeler son « vieux rig. » Elle prend du chic, mais sans rien perdre de sa délicieuse fraîcheur. C’est une étoffe solide et de bon teint. Agnès, troupière finie, arrivera au ciel avec une odeur de corps de garde où Jeanne d’Arc ne blâmera rien.

Adieu, chère amie. Il est temps que j’aille au journal et que je vous débarrasse. Parce que je vous aime extrêmement, ce n’est pas une raison pour que je vous ennuie démesurément. Ni la goutte, ni la tendresse n’ont le droit d’assommer les palpitations de cœur et la vertu. Me trouvez-vous assez coquet ? J’ai toujours été comme cela. Il y a une cinquantaine d’années, mon ami Perrin, directeur du Théâtre-Français (mon ami d’enfance, s’il vous plaît), m’appelait un gros grêlé, mais gracieux. La mère François qui l’aimait bien et qui lui donnait volontiers à dîner, l’appelait : mon ami le calorgne, parce qu’il louchonnait d’un œil.


16 mai 1876.

Mon amie intime, que n’étiez-vous ici samedi en chair et en os ! J’ai assisté à la profession de Marie-Luce. La voilà religieuse définitivement. Je le savais bien, c’est fini. Tout jusque-là n’avait été que la maladie. A présent, c’est la mort. J’en suis bien aise. C’est beau, c’est bon, c’est heureux, c’est saint ; mais que c’est amer à travers tout cela ! Il y a plusieurs cérémonies très belles et d’un grand sens. Je les ai suivies. Il n’y a pas à dire, elles sont dures pour un pauvre bourgeois. L’agonie a duré huit jours. Elle a commencé par faire son testament. Avec quelle hâte et quelle plénitude elle s’est débarrassée de tout ! Quels dons charmans et pleins de cœur elle s’est hâtée de faire ! Tous mes serviteurs anciens et nouveaux, tous les siens, même ceux qui ne l’avaient pas connue et ceux qui l’avaient oubliée ont été l’objet de son souvenir. Je veux, disait-elle, qu’on se réjouisse dans la maison de mon père. Elle a voulu que je fusse son héritier. J’ai accepté, mais j’ai fait comme elle et je n’ai pas gardé un liard. En un clin d’œil elle a jeté par la fenêtre plus de 200 000 francs, ne réservant pour elle que sa stricte dot.

Cela fait, elle s’est préparée à mourir avec une grande joie. Elle a fait ses vœux. Elle a chanté en connaissance de cause