Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/733

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

énorme travail où il raconte, d’un seul et même souffle, toute l’histoire romaine.

Les légendes, les dieux, les rois, les augures, les miracles, les traits d’héroïsme, la rudesse des combats, la majesté des fêtes religieuses, les piétés et les impiétés, les grands dévouemens et les grands crimes, tout ce qui met en relief le nom romain, tout ce qui aboutit à la gloire de Rome, tout cela lui appartient et relève de lui.

Il entend que la postérité sache, par lui, non seulement ce qui s’est fait, mais ce qui s’est dit à Rome et sur Rome. Par là il ressemble plus à Hérodote qu’à Thucydide. Il n’a ni le haut jugement, ni la discrétion, ni la tenue de celui-ci ; il n’est pas un homme d’Etat, ni même à proprement parler un homme politique ; c’est un écrivain de métier et surtout un orateur. Son histoire est écrite, comme on dit, « de seconde main : » il compile et ne s’en cache pas : « J’ai suivi, écrit-il, tous les auteurs qui m’ont précédé. » Mais tout en empruntant, il choisit ; il choisit avec un sens de l’effet qui donne toujours à son récit un attrait et un caractère dramatique. On raconte qu’un citoyen de Gadès, en Espagne, fit le voyage de Rome uniquement pour le voir et, qu’après l’avoir vu, il s’en retourna... Dans Tite-Live, ce n’est pas tant à l’homme que fut adressé cet hommage qu’à l’œuvre, c’est-à-dire au sujet. L’historien était grand aux yeux du bon provincial, par le service qu’il avait rendu au monde en lui offrant une histoire si glorieuse pour l’humanité.

Tite-Live est le roi des narrateurs ; son exposé souple et limpide, attentif et ingénieux, ne laisse échapper aucun trait, aucun détail utile, intéressant ou seulement amusant. Ce qu’il montre, on le voit ; ce qu’il explique, on le comprend ; quand il décrit, « on y est. » Il a une pénétration naturelle qui donne à ses portraits une psychologie pleine de réalité et de vie. Tous ses personnages sont debout, allant et venant, agissant, naturels, — corps et âme. C’est cette volonté d’être vrai, et surtout d’être persuasif, captivant, qui assure à l’historien une sorte d’impartialité. Elle n’est pas, chez lui comme chez Thucydide, la volonté de voir les choses comme elles sont, mais uniquement le désir de les présenter sous leur aspect le plus attrayant pour les rendre plus émouvantes.

Tite-Live ne se laisse jamais détourner de son projet initial qui est de déduire, du drame romain, une leçon humaine. Le