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sa splendeur, il la connaît encore libre, mais il assiste à la ruine de la liberté et il devine la décadence.

Tite-Live n’est pas Romain, il est Italien, Cisalpin ; il est fils de ces peuples qui, après avoir combattu Rome, ont subi son joug, se sont habitués à leur servitude, l’ont aimée, ont été conquis par la grandeur plus que par la force, ont adhéré à l’unité, ont compris, enfin, qu’il n’y avait pas d’autre voie de salut, pour les nationalités secondaires, que de faire partie de ce grand corps.

Fiers d’une patrie qu’ils n’avaient pas faite, ces Romains de la dernière heure n’en furent que plus ardens, puisque leur dévouement résultait d’un choix. Virgile Mantouan, Tite-Live Padouan, répétaient à l’envi le : « Deus nobis hæc otia fecit. » Ils aimaient Rome, la paix romaine, l’ordre romain.

Tite-Live est parfaitement conscient de ce qu’il fait en écrivant l’histoire de la Cité ; il veut laisser au monde un grand exemple : comment Rome grandit et prospéra, comment elle déclina et pencha vers sa ruine. Jamais il n’y eut, sur la terre, une telle histoire, et cette histoire ne pouvait être écrite par un plus digne historien. Que serait, pour l’humanité, l’histoire romaine sans Tite-Live ? « Certes, dit-il, ou je suis trompé par l’intérêt de mon sujet, ou il est vrai que jamais il n’y eut une république plus noble, plus sainte, plus abondante en bonnes mœurs et en hautes leçons, capable de résister si longtemps à l’invasion des mauvaises passions, la luxure, l’avarice, ayant gardé, si tard, l’honneur de la pauvreté et de l’épargne, où moins on avait pt moins on voulait avoir. Plus tard, il est vrai, la richesse, le luxe, les plaisirs, les désordres, abaissèrent la République et la menacèrent de ruine... Eh bien, c’est donc dans cette histoire qu’on verra, à la fois, ce qu’une république doit rechercher et ce qu’elle doit craindre. »

Tite-Live écrit pour enseigner, pour servir d’avertissement et de leçon, non pas ad narrandum, mais ad probandum. Ce Padouan, qui vient de sa province, et qui en a gardé même l’accent (patavinitas), s’étonne de ce qu’il voit, de ce qu’il admire, plus que ne l’eût fait peut-être un Romain de pure race, né dans la ville ; il n’a aucun scepticisme, aucune ironie ; il est appliqué, sérieux, convaincu ; il a apporté, de ses origines, un souffle oratoire, une « abondance lactée, » une candeur et une honnêteté qui ne le quitteront pas ! il aborde allègrement cet