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usé et épuisé peu à peu ; de cet admirable passé il ne restait plus que honte et décadence ! »

Voilà certes un grand écrivain. Quel portraitiste plus expressif, quel psychologue plus pénétrant, quel prosateur plus nombreux et plus énergique ? Nous n’aurions pas compris tout de Rome si nous n’avions pas Salluste. Même ce style voulu et tendu, cette acrimonie passionnée sous un voile d’impartialité, ces mots brefs et à l’emporte-pièce sont nécessaires pour nous faire pénétrer dans le repli le plus caché et non le moins actif du génie romain. On comprend, à lire Salluste, la, violence des guerres civiles et des inexpiables vengeances ; on comprend à quel amas de difficultés grandes et petites se heurta la conquête du monde. César, si facile et si coulant, rend tout coulant et facile. Salluste fait effort et donne la sensation de l’effort : rhéteur et non soldat, fonctionnaire aigri et non « ouvrier » joyeux de son œuvre.

Ces deux petits livres de Salluste, le Catilina et le Jugurtha, seront toujours des modèles pour l’homme de cabinet, ils feront réfléchir le penseur ; ils sont des types de l’histoire « à la lampe. » Salluste a imité Thucydide ; mais on sent l’imitation. Et puis, il y a autre chose : l’infériorité radicale de Salluste est moins dans le style que dans l’âme. L’histoire a, pour ceux qui l’écrivent, de ces sévérités : si Salluste eût été un plus honnête homme, il ne serait peut-être pas un meilleur écrivain, mais il eût été certainement un plus grand historien. :


Il fallait que la République romaine fût arrivée à la maturité, mais il fallait qu’elle fût encore grande et respectée pour qu’on pût faire, d’elle, un portrait en pied. Le peintre se présenta quand le modèle fut prêt, et ce fut Tite-Live.

Tite-Live naquit à Padoue l’an 59 avant J.-C. : il commença à écrire vers l’an 26 avant J.-C ; son histoire, qui remonte aux origines de Rome, s’arrête à la mort de Drusus, l’an 9 avant J.-C. Tite-Live mourut à Padoue où il s’était retiré, l’an 16 après J.-C.

Remarquez ces dates : elles appartiennent à l’époque où l’on cesse de compter par la fondation de Rome pour commencer à compter par la naissance du Christ ; c’est la coupure entre le monde antique et le monde moderne.

Tite-Live est le contemporain de César et le familier d’Auguste, le compagnon d’Horace et de Virgile, il voit Rome dans