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des longues guerres civiles, le dégoût d’une vie publique alternant entre le massacre et l’orgie, la dépréciation de toutes les valeurs nationales à l’heure où elles font besoin plus que jamais ?... Le héros est l’homme qui répond à l’appel de la Destinée et qui fait ce qu’il y a à faire pour prouver ce qu’il sait faire. César, Romain assoupli et humanisé, disciple des Grecs, parcoureur du monde, citoyen de l’Univers, était capable et seul capable de faire lever l’avenir germant dans l’anarchie. :

Il comprenait que la Cité, maintenant, c’était l’Empire et que l’Empire importait plus que la Cité. Il fut l’homme des provinces et s’appuya sur les provinces ; il les conquit et fit, avec elles, la conquête de Rome ; c’est en cela qu’il fut, selon l’expression de Ferrero, « l’homme fatal de l’histoire européenne, l’instrument inconscient dont se servit le Destin pour une œuvre immense. » Il devait être à la fois le tombeur de la coterie sénatoriale, le démolisseur de la finance chevalière à la Cicéron, le contempteur des vertus catoniennes, le vainqueur de Pompée, l’amant de Cléopâtre, de même qu’il devait conquérir la Gaule, toucher du pied la Grande-Bretagne et la Germanie pour éveiller la future Europe, répondant à sa double mission d’ensevelisseur de la Rome antique et d’initiateur du monde moderne. Or l’homme qui a fait cette histoire, l’a écrite. Cela aussi était dans sa destinée.

Le plus souvent, les hommes d’action, quand ils ne sont pas prématurément éloignés des affaires, ne songent pas à saisir la plume pour expliquer ce qu’ils ont voulu, tenté, exécuté : le temps leur manque ; la littérature est affaire aux oisifs et aux chagrins. Raconter des souvenirs, rabâchage de vieillard. Tant qu’une âme est forte, elle ne regarde pas en arrière, mais en avant.

Les Commentaires de César sur la Guerre des Gaules sont bien le contraire d’un livre sénile ; si on peut appeler cela de la littérature, c’est de la « littérature de combat : » de là, ce caractère unique de virilité, de prestesse, d’alacrité armée et militaire. La phrase courte, précipitée, rapide, tendant au but, se presse comme le pas cadencé des légions. César écrivit le livre vers l’année 52, alors que la guerre des Gaulois n’était pas finie et pour plaider sa cause devant l’opinion. Imaginez un général contemporain, comme Archinard ou Lyautey, interrompant une campagne coloniale pour demander à la mère patrie un effort nouveau et des concours indispensables. Il est à peine croyable, mais il est à peu près certain que l’œuvre si chargée