Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Recevez le mien, mon baiser de frère, très heureux et très fier d’avoir une sœur comme vous. Priez pour moi et tirez-moi. Allons chanter, sans fausses notes, au milieu de la canaille reconnaissante et transfigurée. J’espère que Poquelin y sera avec ses poquelineaux et ses poquelinettes. Pour canaille, il l’était certainement, le beau génie. Mais il disait en parlant des siens : Je les fais vivre, je ne peux pas les abandonner ; et il est mort à la peine. Il raisonnait mal, mais enfin il donnait un verre de sueur, c’est plus qu’un verre d’eau. Dites cela à celui qui donne à bon escient des verres de larmes. Espérons, espérons un Dieu de miséricorde.


Dimanche, 23 janvier 1876.

Quand je vous dis qu’il vous aime, me croirez-vous enfin ? En réponse à votre histoire qui me ravit et qui m’enivre, écoutez-en une autre, juste la même, mais un peu plus ancienne, car ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il avoue cette passion. Vous avez entendu parler de la femme qui vint le trouver sur les frontières de Chanaan. Qu’allait-Il faire là, en ce pays étranger ? On ne le savait pas, rien en apparence ne l’y appelait. Il ne l’a pas dit, mais on l’a deviné. Il allait à un rendez-vous d’amour. Cette femme vint ; elle lui dit : Seigneur, ayez pitié de moi ; ma fille est cruellement tourmentée d’un démon. Il ne parut pas la voir. Ses apôtres, bonnes gens néanmoins, la reçurent mal. Elle leur semblait une importune, une coureuse, une comédienne peut-être, et peut-être pis, s’il y a pis. Tout ce pays de Chanaan était mal famé. Comme elle insistait, ils craignirent qu’elle ne compromît le maître. Déjà ils n’avaient pas paru très contens de la Samaritaine qui, à vrai dire, n’était pas grand’chose. lis dirent à Notre-Seigneur : Renvoyez-la. Notre Seigneur fit semblant d’entrer dans leurs vues. Son accueil fut très rude. Il l’appela à peu près une chienne. On ne doit pas donner aux chiens le pain des enfans, lui dit-il. Notez cependant qu’il était venu pour elle. Avertie et instruite par l’amour, elle ne se démonta pas et ne se fâcha pas. — C’est vrai ; mais on laisse les petits chiens se nourrir des miettes qui tombent de la table où mangent les enfans. Quelle confiance, quel amour, quel besoin ! — quelles paroles à faire pleurer les pierres ! Et lui : femme ! grande est ta foi. Qu’il soit fait