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On me dit parfois que je ressuscite. Mon écriture vous dit ce qu’il en est. J’écris assez vite, mais je ne suis pas maître de former mes lettres comme je veux, ni d’écrire gros, ni d’écrire fin, ni d’observer ce que j’ai conservé d’orthographe. C’est bien pire pour la voix. Je bégaye, j’ânonne, j’oublie des mots. Il me manque partout des rouages et tous mes rouages manquent de quelques dents. Je prends souvent le plaisir de me taire. Il est médiocre ; plus médiocre encore est le plaisir de ne point voyager. Que j’ai désiré d’aller à Nice ! Un moment je l’ai espéré. Il a fallu défaire ma malle, j’ai dû me résigner à être parrain de ma petite-fille par procuration. Je suis rivé à Paris. J’en ai un signe. Le journal m’a poussé une voiture sous le derrière.

Je n’avais jamais souhaité une voiture ; la voilà tout de même. Cela me fait l’effet d’un corbillard. La première fois que je me suis promené dans ma voiture, j’ai appris qu’on ne se promène qu’à pied.

J’ai reçu hier votre chère lettre. Je venais de voir ma Visitandine après la longue abstinence de l’Avent. Tout ce temps-là, les parens jeûnent de visites. Ma fille est présentement frotteuse. J’ai un robuste domestique qui se plaint beaucoup de la fatigue que lui donne le frottage ; ma fille est moins forte, frotte davantage et se réjouit de frotter. Cela lui tient chaud, dit-elle. On avait allumé à cause de moi une flambée dans le parloir. Elle regardait le feu à travers la grille. — Comme c’est beau, dit-elle, un feu. Il y a longtemps que je n’en avais vu. Voyez, papa, au couvent tout est plaisir. On aime à rencontrer par hasard du feu ; on est content de pouvoir s’en passer. — Est-ce que tu as froid ! — Ah ! papa ! avec le feu que j’ai dans le cœur ! — On ne peut rien imaginer de bon, de beau, de fort, de gai et de tranquille comme cet enfant !

Adieu, chère amie, votre lettre est pleine du parfum de la bonne mort. Mais cela ne me console pas.

Nous ne sommes plus sur la terre que pour nous consoler d’en partir, nous ne perdons rien. Jésus nous attend dans sa maison. Nous irons ; nous y serons bien. Quand la poussière de la route sera époussetée, nous paraîtrons devant le Roi. Attendons patiemment, regardons en face. Ce n’est pas un huissier qui viendra nous prendre pour nous faire payer nos dettes, mais un ambassadeur qui acquittera tout. Mourir, cela s’appelle, en chrétien, recevoir le baiser du Seigneur.