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elle n’illustre pas un poème de Villon, mais un traité du « secret parlement de l’homme contemplatif à son âme. » Dans un décor de châteaux et de tours, qui forme un beau paysage autour de cette aventure, le truand est debout, tenant d’une main son chapeau, de l’autre un bâton de chemineau : un pauvre diable emmitouflé de vieux habits, engoncé d’un mauvais manteau, les genoux déchirés, les pieds dans de grosses savates ; et mal peigné, non peigné, une figure hâve, lippue, pointue, et une trogne. Seulement, les yeux pleins de rêve. C’est qu’il a rencontré son âme. Son âme : une petite jeune fille nue, les cheveux répandus sur le dos, un joli visage, candide, sage et innocent, un cou charmant, des bras minces d’adolescente, des jambes longues, des seins puérils, un corps « poli, souef, si précieux, » deux ailes qui montent des épaules, deux ailes qui, ramenées en avant, cachent avec modestie l’aine et les cuisses.

Cette image est un poignant chef-d’œuvre et de peinture et de pensée. Elle veut dire que nous ne ressemblons pas à nos âmes.

Elle résume, avec une merveilleuse vivacité visible, cette dualité de l’âme et du corps, qui est l’enseignement de l’Église et qui est aussi l’affirmation première de toute philosophie spiritualiste. Or, je ne prétends pas que la philosophie spiritualiste soit une erreur qu’on ait reconnue et je consens qu’elle gouverne encore nos croyances. Mais enfin, nous avons eu des philosophes monistes, les uns métaphysiciens et qui voulaient tout rapporter à la seule efficace de l’âme, les autres physiciens et qui n’admettaient nulle réalité que matérielle. Même si nous ne les lisons pas et si nous n’acceptons pas leurs conclusions, les systèmes dégagent des influences qui changent l’atmosphère intellectuelle d’une époque. Puis, avertis, les spiritualistes eux-mêmes étudient les concomitances de l’âme et du corps : ils en montrent l’union plutôt que l’indépendance.

Bref, nous avons beaucoup de mal, désormais, à nous figurer l’âme et le corps séparés comme, sur l’image, le sont le truand et cet ange féminin, qui se rencontrent, se reconnaissent, et causent un instant, et s’en iront chacun de son côté.

Or, il me semble qu’au moyen âge cette dualité ne fut pas seulement une hypothèse de philosophie, ou un acte de foi, un dogme : elle fut l’évidence ; et elle fut un principe de pensée. Qu’on veuille y songer. Toute la littérature, à peu près, et tout l’art du moyen âge est allégorique. Et dira-t-on que la mode était à cet ornement ingénieux ? La mode, oui ; mais une mode a quelque raison d’être en dehors du simple caprice, et une mode qui a duré des siècles. L’allégorie, au