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Catherine de Vausselles et Marthe qui, au long des jours oublieux, a perdu son nom de famille. On ne peut rendre ces deux jeunes femmes responsables de ce qu’il a fait depuis lors. Les tavernes, le jeu et la débauche : ce n’est rien. En peu de mots, il devint cambrioleur. L’affaire du collège de Navarre ne se prête pas à des interprétations indulgentes. Avec d’autres, avec Colin de Cayeux, fils d’un serrurier parisien et qui tenait de son père la façon de prendre les serrures, avec Petit Jehan, plus effronté encore et plus habile, et avec Guy Tabary, un peu niais, qu’on abusait et qui vendit la mèche, Villon opéra dans une entreprise de crocheteurs. Ils travaillaient avec l’instrument qu’on appelait déjà rossignol ; et, dans la chapelle du collège, ils volèrent cinq cents écus d’or. Colin de Cayeux, plus tard, fut pendu. Villon, après le vol, s’éloigna de Paris, à tout hasard. Il partit pour Angers. Et, à Angers, il combine pour ses camarades et lui, un autre coup. Il avait un parent là-bas, un oncle, moine dans un des couvens de la ville. Le bon apôtre n’est-il pas venu, tout gentiment, voir cet oncle ? Par l’oncle ou autrement, il aura des avis relatifs à un religieux d’Angers, très riche et qu’il sera fructueux de dévaliser.

Tout cela suppose la préméditation, l’adresse abominable et une bande organisée. Villon est l’un des garnemens de cette bande, il n’en est pas le chef. Et, si Petit Jean montre sa maîtrise au moment bref du crochetage, Villon prouve sa suprématie dans la préparation prudente et savante des affaires. Donc, il en est plus longtemps occupé : il vit avec ce souci inquiétant.

Il y a toutes raisons de croire que, pendant les mois ou les années de sa vie errante, il se mêla aux Coquillards, ou Compagnons de la Coquille, voleurs de grands chemins, voleurs dans les foires où ils s’introduisaient déguisés en marchands, voleurs partout et qui avaient leurs indicateurs, receleurs, complices de tout genre, leur discipline, leur administration secrète et leur jargon que Villon sut, parla, écrivit et consacra de la musique de ses vers. Il a vécu dans l’ignominie, et sans nulle excuse. Il volait de l’argent ; et il a été un cambrioleur comme un autre.

Qu’il en soit venu là, Villon qui avait une mère si bonne et dévote, et Villon que maître Guillaume de Villon éleva si bien, et Villon qui était Villon, cela déroute. Mais qu’en étant venu là, il ait été pourtant ce poète, cela vous embarrasse l’intelligence et vous interdit. Le Petit Testament est postérieur au meurtre de Philippe Sermoise ; et l’incomparable merveille du Grand Testament, postérieure au vol du collège de Navarre et au voyage d’Angers.