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examiné ces paperasses, nous l’apprend. On rédigeait alors un testament pour le plus modeste cadeau. Une pauvre femme lègue à sa paroisse, en mourant, sa robe du dimanche et son chaperon, à sa filleule son lit et, à une malheureuse qui avait eu la figure déchirée par les loups, son cotillon de tous les jours. Pareillement, Villon lègue à ses amis les pièces de son costume, ses chausses garnies de semelles, ses houseaux, sa robe rognée, ses meubles médiocres, son lit, une table, un pain, des paniers et sa librairie. C’est tout ce qu’il possède. M. Pierre Champion a publié l’inventaire après décès des biens laissés par un écolier du collège d’Autun, qui vécut vers la fin du siècle et qui s’appelait maître Guillaume Leva vasseur. Eh bien ! cet inventaire, c’est trait pour trait celui de Villon. L’objet le plus cher, estimé plus de trente sols parisis, est un lit garni de son traversin et de sa couverture de laine bariolée ; mais on ne prise pas à plus de deux sols parisis le pourpoint d’ « oustadine » noire doublé de futaine blanche, avec un bonnet noir et un gris.

Nous voyons très bien Villon, dans sa petite chambre du cloître Saint-Benoît, parmi ses meubles, sous la tutelle de maître Guillaume, son « plus que père, » homme savant et respecté. Il a reçu la meilleure éducation, dans un monde grave et aimable de religieux et de juristes, un peu chicaneurs, dogmatiques, très sûrs d’eux-mêmes, dépourvus de tout scepticisme, bons Français, fidèles au Roi, très attachés à la mémoire de Charles V, qui a donné à « messeigneurs de Saint-Benoît » le droit de seigneurie et très férus encore des exploits qu’on raconte de Du Guesclin, le compagnon de ce bon roi, et très amis de la Pucelle : quand Charles VII résolut de réhabiliter Jeanne d’Arc, l’un des mémoires fut signé de Jean de Montigny, chanoine de Saint-Benoît. En lisant les vers où Villon célèbre « Claquin le bon Breton » et « Jehanne la bonne Lorraine qu’Anglois bruslèrent à Rouen, » l’on devine que lui reviennent à l’esprit, — et ils le touchent, — les récits qui ont éveillé les ferveurs de son enfance. L’année où il naquit, du Guesclin était mort depuis cinquante ans et, cette année même, les Anglais brûlaient Jeanne d’Arc. Il a été bien élevé, préparé à une vie pareille à celle dont maître Guillaume de Villon lui présentait l’exemple honorable et quiet. Et il était un bon enfant, avant que de se muer en mauvais garçon. Il a passé ses examens : à dix-huit ans, il est inscrit parmi les bacheliers sur le registre de la Nation de France, à l’université ; à vingt et un ans, c’est-à-dire aussi jeune que les règlemens l’y autorisaient, il obtient la licence, licencia docendi, pour laquelle il a dû prouver qu’il avait étudié Porphyre, les Catégories, les