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maître Jehan Cotart est bien traité. Villon lui accorde l’éloge de fameux buveur : au surplus, quoi de mieux ? En l’honneur de ce très digne homme, il invoque « Père Noë, qui plantastes la vigne, vous aussi, Loth… » S’ensuit un badinage. Villon l’a vu, Cotart, qui, s’allant coucher, chancelait, trépignait « comme homme bu ; » et, une fois il se fit une bigne, tombant, à l’étal d’un boucher. Bref, de tout cœur, il recommande à Dieu l’âme du bon feu maître Jehan Cotart.

Il suffit de lire Villon pour sentir la vérité de sa poésie. Il n’y a pas, entre sa poésie et lui, l’intervalle d’un artifice ; mais sa poésie est lui-même, lui devenu spontanément cette poésie-là. Je ne sais si jamais un art a été plus adhérent à la personne de l’artiste, si jamais le poète et sa poésie ont eu cette identité vivante. C’est ainsi que les Testamens nous émeuvent deux fois en une fois, par tant d’art et tant de réalité ensemble. On nous aide à goûter ce double attrait si puissant de son œuvre, quand on nous montre son exactitude et qu’il a cueilli au pré, mouillées encore, les fleurs de son bouquet.

À sa mère, Villon a légué une ballade pour prier Notre-Dame ; et c’est la mère de Villon qui parle ; et il y a un dizain (qui fait oraison dans toutes les mémoires) où cette bonne femme dit ce qu’elle voit, avec peur et liesse, au moûtier dont elle est paroissienne. Elle le dit de telle sorte qu’on ait pu désigner cette église : l’église du couvent des Célestins, dédiée sous le titre de l’Annonciation, église que décrit en ce temps-là Guillebert de Metz comme ceci : « Aux Célestins est paradis et enfer en peinture, avec autres pourtraictures en un cuer à part. Item devant le cuer de l’église, à ung autel, est painte ymage de Notre-Dame, de souveraine maistrise. » Auprès du paradis, tout en harpes et luths, et de l’enfer « où damnés sont bouilus, » contraste saisissant, la mère de Villon, à la main une chandelette, prie et fait un gémissement. Elle ne sait pas lire et elle est une des humbles chrétiennes en faveur de qui l’Église, durant le moyen âge, multiplia sa belle imagerie, offrant aux yeux, comme un livre manifeste, les murailles sculptées ou peintes, l’évangile lumineux des vitraux ; et, en général, les sermons commentaient le précepte de ces tableaux.

Passant du triste au gai avec une soudaineté capricieuse, mêlant la plainte, la satire, la douleur et une allégresse toute voisine des larmes, Villon s’amuse d’être si pauvre et d’avoir tant de légataires. Il donne tout, voire ce qu’il n’a pas ; et il donne aussi ce qu’il a et qui n’est pas grand’chose. Le stratagème du testament le divertit le mieux du monde. Mais ce testament plein de jolie extravagance, il le compose sur le modèle des testamens authentiques. M. Pierre Champion, qui a