Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/688

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a, pour retourner à lui un peu, l’érudition. Et, parce que certains érudits entassent tout uniment de la poussière sur de la poussière, nous sommes tentés de redouter leur besogne ; mais, bien faite, leur délicate besogne est le rajeunissement perpétuel de l’humanité. Recourons à ce beau stratagème. Grâce aux deux volumes que M. Pierre Champion, — précédemment l’auteur d’un Charles d’Orléans très remarquable[1] — vient de consacrer à François Villon, nous aurons connu les lieux, les choses et les hommes dont parle ce poète ; nous aurons été de son temps à Paris, mieux et plus facilement que Marot.

M. Pierre Champion a utilisé les travaux patiens et admirables d’Auguste Longnon, de Marcel Schwob et de Gaston Paris. Il les a contrôlés, et il les a, sur quelques points, corrigés. Surtout, il les a complétés par ses recherches personnelles, qui ont été considérables, minutieuses et constamment récompensées de précieuses trouvailles. Sur Villon lui-même et son existence, il n’apporte pas de nouveaux documens. Ce qu’il a étudié, avec un soin parfait et avec une ingéniosité subtile, c’est le temps de Villon ; et c’est l’entourage de Villon, ses amis, ses légataires, le monde où a vécu cet écolier, ce poète, ce sacripant, son milieu, les conditions de son activité, ses paysages de rues ou de grands chemins, de sorte que Villon nous devient tout à fait intelligible ; nous entrons dans le secret de sa conscience et nous concevons familièrement ses bizarreries : les incidens que nous savions s’éclairent d’une lumière qui leur donne du naturel et de l’évidence.

J’aimais, s’il faut l’avouer, maints huitains que je n’entendais pas beaucoup : « Item, à Jehan Raguyer je donne… Item, à Robin Troussecaille… Item, et à Michault Culdou. — Et à sire Charlot Taranne… » Mon plaisir était le bruit des syllabes, le rythme des mots si drôlement agencés, certes obscurs et qui soudain se dévoilaient, montrant un bout de pensée cocasse ou polissonne, laquelle aussi tournait parfois au plus doux sentiment. Et je m’attendrissais sur Guillaume Cotin, sur Thibault de Vitry, deux pauvres clercs, parlant latin, paisibles enfans sans querelle, humbles et bien chantans au lutrin. Villon leur donne, « en attendant de mieux avoir, » le revenu d’une maison qui n’est pas à lui. Or, Guillaume Cotin et Thibault de Vitry étaient, en 1456, de vieux, riches et gros chanoines de Notre-Dame. Villon se moque d’eux, quand il les habille en Éliacins. Et il emploie contre eux son procédé de plaisanterie le plus habituel, qui est l’antiphrase. Il

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février 1913, l’article de M. Raymond de Vogüé.