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inattendu dans le programme : la veille, les dissidens avaient entraîné plus loin vers le Sud les douars qu’ils prétendaient retenir dans leur parti, et ce contretemps avait retardé l’heure de la fuite et l’arrivée au rendez-vous.

Imbert écoutait ce récit avec une joie intense. Il s’extasia sur l’importance du succès obtenu sans coup férir : 130 tentes, avec leurs 15 000 animaux, cessaient volontairement la rébellion, et la seule intervention morale de nos forces suffisait pour les y décider ! Il tendit la main à Bou-Amar et le complimenta ; puis il songea aux causes cachées qui transformaient soudain ce caïd obscur et douteux en champion intelligent et zélé des Roumis. Les pronostics fondés sur les récits relatifs à la prochaine colonne, sur la concentration commencée à Camp-Marchand ? Ils en ont vu d’autres, et ils n’y croient pas. Les rengaines nouvelles sur les profits d’une politique de collaboration ? Non, ils ne savent ce que c’est. Lassitude raisonnée de l’existence errante, convoitise du bien-être stable et reposant ? Pas davantage. Alors ? Il se butait, mais un trait de lumière traversa son esprit : « Parbleu ! c’est le choc de Tsili qui ouvre cette fissure dans le bloc des dissidens. Ils savent maintenant que, malgré les distances, leur sécurité est devenue douteuse et leur impunité mal assurée. Les hésitans commencent à se garer des coups. »

Les derniers troupeaux disparaissaient derrière le col. Le soleil baissait. Pointis se leva : « Partons-nous ? » demanda-t-il. Imbert cessa de méditer ; il fit à la lorgnette le tour de l’horizon : « Rien de suspect en vue. Nous rentrerons en bon ordre, glorieux et satisfaits. Admirez maintenant la joie de nos troupiers : ils comprennent qu’on a joué un bon tour aux dissidens ! » Sur les figures, on lisait, en effet, la satisfaction causée par une journée bien remplie, dont les épisodes étaient analysés en commentaires bruyans. Les regards se tournaient, admiratifs, vers Bou-Amar qui savourait sans modestie cet hommage réparateur des avanies du matin.

Peu à peu, les élémens protecteurs de l’exode s’étaient soudés dans la formation prescrite pour le retour. Sur la piste rabotée par les pas des animaux innombrables, la troupe marchait allègrement. Elle dépassait les derniers groupes des fugitifs qui égrenaient leurs traînards harassés. Bêtes et gens étaient visiblement à bout de leurs forces, et Pointis put voir, sur les