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vallée du Grou, par les montagnes bleuâtres de Sidi-Lakdar, En vain, les lorgnettes scrutaient les premiers plans et les lointains : les guerriers dissidens restaient invisibles, comme leurs troupeaux et leurs douars. Faisceaux formés, les troupes trompaient leur impatience en grignotant le repas froid. Les officiers, éclairés maintenant sur les causes de ce déploiement de forces, commentaient sans douceur l’attitude insolite des partisans. Ceux-ci, accroupis devant leurs montures, se désintéressaient de la comédie dont ils devaient être les principaux acteurs. Veules et taciturnes, ils semblaient avoir la nostalgie de l’espace qui s’ouvrait devant eux, domaine inviolé de la liberté sans entraves, paradis de guerriers inaccessible aux Roumis. Bou-Amar, penaud, gesticulait entre Imbert et son officier de renseignemens qui l’accablaient de reproches et de menaces : « Bou- Amar, tu nous as menti ! Où sont tes partisans ? Ce n’est pas avec ces quinze pouilleux que tu vas forcer tes douars à rentrer ! » Et l’autre pérorait, invoquait une méprise : « Ils se sont trompés, bredouillait-il, mais c’est là-bas qu’il faut aller ! » Et il montrait une colline lointaine où, par erreur, ses affidés s’étaient sûrement donné rendez-vous.

Pendant ce colloque, les officiers s’étaient rapprochés. Un murmure de colère accueillit la traduction de l’officier de renseignemens qui, perplexe, fourrageait dans sa barbe noire. Imbert les consulta du regard, et lut sur leurs physionomies une instinctive anxiété. Tous étaient braves, mais ils flairaient une trahison dans le calme de la plaine et dans l’embarras de Bou-Amar : « Bah ! nous pouvons bien y aller, » dit Imbert en contemplant ses soldats qui, repus et reposés, jacassaient gaiement. » Avec un peloton au col pour assurer notre retour, 250 fusils, 2 canons et 20 spahis dans la plaine, c’est plus qu’il n’en faut pour rester maîtres de nos mouvemens. Messieurs, dans un quart d’heure nous partons ! Le caïd nous guiderai — Vous avez tort, mon cher ami, lui souffla Pointis, tandis que les officiers se dispersaient. Songez à ce que vous m’avez dit hier au soir ! Vous devez être prudent. Permettez-moi de vous engager à laisser tous ces Bicots se débrouiller entre eux. » Mais Imbert éclata : « Zut pour la prudence ! J’en ai assez, à la fin, d’être, comme ils le disent, le Hakem du Mellah ! Si nos chefs nous trouvent dangereux et gênans, ils n’ont qu’à nous enlever nos fusils et nos canons pour les remplacer par des porte-plumes