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jours il y eut, dans la cahute des Affaires indigènes, une affluence inusitée d’émissaires mystérieux.

Pointis attendait avec impatience le dénouement. Il se passionnait à la complication de toutes ces intrigues. La mentalité indigène, qu’il s’était imaginée simpliste et fruste, lui apparaissait fertile en machiavéliques combinaisons. Certes, durant son séjour au Maroc, il avait déjà constaté, parfois à ses dépens, la duplicité, l’esprit retors des Arabes et des Berbères ; il connaissait l’astuce de tout candidat caïd ; mais chez ce paysan sans culture elle confinait au génie.

« Tant mieux, puisque nous en profitons, lui dit un soir Imbert qui avait gardé jusqu’alors, sur les offres de Bou-Amar, une diplomatique réserve. Demain matin, si vous ne craignez pas de vous trouver sur le trajet d’une balle égarée, venez avec nous. Je vous montrerai le retour des enfans prodigues. Ce sera un spectacle très marocain. — Je vous accompagnerai volontiers, affirma Pointis ; mais en attendant, ne pourriez-vous m’expliquer ?... » Imbert aquiesça : « Je le puis. Hier encore, l’affaire n’était pas sûre et je préférais, en cas d’échec, la tenir secrète. Maintenant la discrétion serait superflue. Sachez donc que ce finaud de Bou-Amar s’est abouché avec plusieurs de ses anciens douars qui, pour diverses raisons, regrettent leur dissidence. Il leur a fait passer la bonne parole et leur a promis notre pardon, s’ils abandonnaient le parti des révoltés. Ces douars comprennent bien que tel est leur intérêt. Mais, autant pour sauver la face que pour se garder contre des représailles éventuelles si nous ne sommes pas les plus forts, ils exigent qu’on leur fasse une douce violence. Et voici le programme que nous avons adopté. Demain, je mobilise la garnison, et nous allons soutenir Bou-Amar qui, avec ses partisans, fera « baroud » contre les intransigeans. A la faveur du tumulte et de la fusillade, les douars repentans décamperont, et nous protégerons leur retraite. Mais il est bien entendu que notre intervention aura seulement le caractère d’un appui moral. Bou-Amar tâchera de s’en tirer avec ses guerriers. — Et si cette intrigue si bien préparée doit, en réalité, l’attirer dans un guet-apens ? — Sans nul doute j’irai le secourir, mais non sans regrets. »

En termes distillés, Pointis s’étonna. Ce programme, insinua-t-il, manquait d’élégante hardiesse : « Je sais, je saisi riposta Imbert qui, d’ailleurs, n’en paraissait pas très fier. Mais,