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quelques types cependant l’intéressaient, par l’avidité naïve des prétentions, la malice roublarde des fourberies. Il les reconnaissait au passage, s’informait de l’état de leurs affaires, souhaitait honnêtement la réussite de leurs combinaisons. Et Bou-Amar qui voulait étendre, après la campagne, son autorité contestée de caïd sur toutes les fractions des Ouled-Ali ; Bou-Hazza qui, plein d’égards pour les deux partis, hésita jusqu’au dernier jour à opter pour une dissidence inopportune ; le caïd Saïd, que ses administrés reniaient ; Moussa le borgne, qui devait à son profil historique le surnom de François Ier dont il était fier, et qui donnait, avec une scrupuleuse prévoyance, des gages à l’autorité française et aux dissidens ; d’autres seigneurs de moindre importance, poussés par une ardeur impatiente, mettaient innocemment à nu, devant lui, leurs âmes de pirates pressés de « manger le voisin. »

Mais, entre tous, Pointis observait Bou-Amar. Celui-ci s’agitait, devinant que l’occasion était unique de satisfaire ses rêves ambitieux. Petit, râblé, il avait une figure intelligente, et l’on pouvait attribuer à la franchise la vivacité de ses regards. Avec une sagacité rare, ce montagnard musulman, inculte et glorieux, avait adopté dès l’origine le parti des Français. Il avait résisté aux menaces des dissidens, comme aux incertitudes causées par notre longue inertie. Depuis l’établissement de nos postes en pays zaër, il s’était multiplié pour mériter une gratitude qu’il entendait monnayer. Il avait, d’ailleurs, chez le caïd Saïd, un rival dont nous étions les débiteurs, et que sa créance morale rendait redoutable. Or, Bou-Amar n’admettait pas une diffusion de notre reconnaissance qui, lors du règlement de comptes, diminuerait sa part de profits. Il guettait donc les événemens pour y trouver une occasion de distancer son concurrent dans la course aux honneurs. On le soupçonnait fort d’avoir poussé, pour le perdre, les douars de Saïd à partir en dissidence. Saïd l’en accusait, non sans raisons plausibles, et la vraisemblance de cette manœuvre paraissait évidente à l’officier de renseignemens. Bou-Amar comprit qu’il devait tenter un coup de maître pour regagner, dans notre estime, tout le terrain perdu. D’ailleurs, le temps pressait. Les premières troupes de la colonne arrivaient à Camp-Marchand. Le début des opérations consacrerait la ruine de ses espérances, si Bou-Amar ne s’était révélé auparavant comme l’homme indispensable. Et pendant quelques