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— Vous avez probablement raison, conclut Imbert. Cependant, la colonne des Zaër, annoncée depuis tant de semaines, est plus que jamais nécessaire, ne serait-ce que pour enlever aux dissidens leurs illusions et rassurer nos partisans. » Aux approbations véhémentes de l’entourage, Pointis comprit les sentimens qui l’animaient. Obscurs officiers de troupe, presque tous vétérans des campagnes coloniales, ils n’avaient à espérer, suivant l’usage, que les restes dans la distribution des prix après la bataille. Ils ne songeaient pas à la mort brutale, aux blessures incurables, aux mutilations hideuses qui peut-être les attendaient ; ils ne souhaitaient la lutte que pour y retremper leurs forces morales et leurs caractères de chefs. Et Pointis les admira.

D’ailleurs, la date semblait proche où leurs vœux seraient exaucés. De jour en jour, des nouvelles rassurantes arrivaient du Sud et de l’Est. Le rogui, malgré ses premiers succès, n’avait pu coaliser les tribus, ni déchaîner la guerre sainte. Les jongleries magiques d’El Hiba n’éblouissaient que la populace du Souss et du Haouz, et sa popularité venait mourir sur les rives de l’Oum-er-Rbia. Fez, définitivement maté, acclamait le successeur de Moulay-Hafid, et l’on estimait possible, sans un déploiement considérable de forces, la reprise de Marrakech. L’occasion semblait donc favorable de liquider ailleurs quelques arriérés gênans. Depuis l’assassinat de Méaux et de Marchand, nous avions trop souvent promis aux Zaër un châtiment exemplaire, nous avions trop souvent joué chez eux le rôle de matamores impuissans, pour différer plus longtemps l’exécution de nos promesses. Peu à peu, la colonne tant de fois annoncée sortait des nuages de l’hypothèse, et des papiers avant-coureurs annonçaient son approche aux postes enfiévrés.


À Camp-Marchand, choisi pour base des opérations projetées, une volonté prévoyante soudait peu à peu les anneaux de la chaîne qu’elle préparait à la région rebelle. Venus de loin, sans liaison visible, compagnies de tirailleurs algériens et sénégalais, de marsouins et de zouaves, sections de mitrailleuses et d’artillerie, pelotons de spahis et de chasseurs d’Afrique, partisans et goumiers, commençaient de plaquer autour du camp les pièces multicolores d’un habit d’Arlequin. Par groupes hétéroclites, les troupes accouraient, soulevant de leurs pas pesans