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est inquiétante. Si les grands caïds du Sud soutiennent le prétendant, la Chaouïa peut se trouver menacée. A Fez, il faut des troupes nombreuses pour contenir la ville et rayonner dans les environs. La ligne d’étapes est engorgée ; les moyens de transport manquent, et l’évacuation de la capitale a même été conseillée, à cause de la difficulté des ravitaillemens. Les bataillons, les batteries, les escadrons affluent, et l’on n’a pas les moyens de les nourrir. Par suite des fautes accumulées naguère, nous avons, paraît-il, de la peine à conserver nos positions. La récente abdication de Moulay-Hafid grossit encore la part de l’inconnu dans notre entreprise marocaine. La moindre faute pourrait donc être funeste, et je comprends la nécessité de n’agir qu’à coup sûr ! »

Mais ce discours sage provoqua un tolle général. « Africains » et « coloniaux » furent d’accord pour conspuer Pointis : « A coup sûr ! clama un capitaine. Croyez-vous qu’on ne trouverait pas ici, et dans les garnisons voisines, assez de monde pour en finir sans retard avec les Zaër ? Vous avez traversé le pays et vous trouvez qu’on peut attendre ? Que faisons-nous à Camp-Marchand derrière nos parapets ? Quelle confiance voulez-vous que nos partisans aient en nous, puisque nous ne pouvons les protéger ? Les dissidens vont partout disant que notre poste est un mellah de Juifs couards. Le prédécesseur du commandant a voulu leur prouver le contraire ; nous savons maintenant qu’il ne faut pas recommencer. » Etonné, Pointis questionna. On lui apprit que, poussé à bout par les jactances des dissidens, l’ancien chef du poste était parti, de nuit, avec 200 tirailleurs sénégalais, une centaine de « joyeux, » un canon et quelques cavaliers, pour aller donner l’assaut au plateau de Tsili, éloigné de seize kilomètres et réputé comme un repaire inexpugnable. Il avait enlevé de vive force la position, et s’y était maintenu assez longtemps pour affirmer son succès avant de rentrer à Camp-Marchand, sans abandonner un seul de ses 11 morts et 22 blessés. Il s’attendait à des complimens : il fut accusé d’imprudence, et déplacé. « L’imprudence n’était pas d’aller à Tsili, dit Pointis ; mais, dans ce pays où le retour paraît un aveu de défaite, puisque votre troupe ne pouvait installer un poste définitif sur le plateau avant de l’évacuer, il valait mieux n’y pas chercher une victoire stérile. Certes, se hâta-t-il d’ajouter, je n’approuve pas sans réserves cette théorie ; mais elle s’explique par la difficulté des temps.