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recommandations dont il était pourvu transformaient toujours en accueil courtois et souvent cordial.

Cette fois encore, le hasard le servait bien. Tandis qu’il cherchait à suivre adroitement le planton qui le guidait vers le bureau du chef de poste, à travers un dédale d’animaux, de voitures, de caisses, d’hommes de corvée agités et bruyans, le timbre d’une voix le fit tressaillir : « Comment ! c’est vous ? Que venez-vous faire ici ? » Il regarda, et reconnut un officier qui, deux ans auparavant, avait été pour lui, au Tonkin, un compagnon de route, de chasse, de plaisir, sympathique et complaisant. Le quatrième galon de l’officier supérieur s’était, depuis, ajouté à ceux du capitaine Imbert, mais l’œil était toujours aussi vif, la taille aussi svelte, l’entrain aussi exubérant. Cette rencontre rappelait aussitôt à Pointis une exotique Gaby aux cheveux lourds, des tigres manqués en commun, des prospections intéressantes, des placemens productifs, plusieurs mois de labeur intense et de joies raffinées. Les mains tendues par un élan du cœur, il s’avança : « Je ne m’attendais guère à vous voir ici, quoique j’aie maintes fois entendu votre nom depuis Casablanca. Mais je vous croyais encore dans quelque Rochefort, et je pensais qu’un homonyme présidait aux destinées de ce poste perdu ! — Je suis seul du nom dans l’arme, et vous oubliez que les envois répétés de bataillons coloniaux ou sénégalais au Maroc réduisent de moitié la durée de notre séjour en France. Je m’en réjouis aujourd’hui, ô voyageur impénitent ! Je vous tiens, je vous garde. Vous ne trouverez pas ici des affaires à étudier, mais vous nous verrez aborder en vitesse un tournant de l’histoire marocaine. Vous ne regretterez pas le spectacle. Nous parlerons aussi du Tonkin, pour nous donner, par instans, l’illusion de changer d’air. » Pointis protestait poliment, ne voulait pas être importun ; mais le commandant l’entraînait avec une insistance persuasive vers une case en briques crues, dont les tôles neuves de la toiture étincelaient. Il y trouvait ses cantines déjà rangées sur le sol, de l’eau fraîche dans les seaux en toile, et le boy Mohammed en train de préparer le lit Picot. Moussa, le cuisinier, assis sur la caisse de popote, attendait sans conviction les ordres pour le repas du soir : il connaissait les traditions de l’hospitalité militaire, et il ne tarda pas à disparaître dans la cuisine des officiers pour offrir à son collègue une collaboration désintéressée.