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sont confondus en deux types qui ont entre eux de nombreuses analogies : la colonne fixe, ou d’observation ; et la colonne mobile, ou noria. — Pourquoi noria ? demanda Pointis, étonné. — Parce que, inlassable, elle parcourt un itinéraire fermé, toujours le même, où elle livre les mêmes combats, reçoit les mêmes soumissions, séjourne sur les mêmes feuillées. »


Ils étaient arrivés à l’extrémité du plateau. La vue s’étendait maintenant sur un cirque immense, où les vallées de deux oueds traçaient des rides que la distance et la pureté de l’air faisaient paraître sans relief. Les tentes du Camp-Marchand simulaient un semis de taches blanches, écrasées sur le sol rougeâtre. Les fourrés de lauriers-roses dessinaient de longues chenilles vertes qui se tordaient sur les thalwegs et soulignaient le scintillement affaibli des flaques d’eau. Vers le Sud, au delà du cirque, une terrasse gigantesque projetait sur le ciel un profil de forteresse, et servait de piédestal à des montagnes déchiquetées qui jaillissaient de l’horizon comme un archipel lointain. Mais le regard cherchait en vain, sur la table rase du plateau, sur les croupes et dans les replis de vallons qu’elle dominait, les troupeaux et les douars. Un silence de mort pesait sur le désert, et les toiles blanches du poste, endormi dans la sieste des midis africains, faisaient penser à des linceuls préparés pour la garnison : « La dernière tribu est partie en dissidence, annonça le lieutenant à Pointis qui méditait ; nous voilà désormais isolés au milieu du bled Siba. » Il en riait comme d’une aventure drôle, sans songer que les magasins contenaient à peine huit jours de vivres, et que la capture d’un seul convoi par les rebelles pouvait avoir de fâcheux résultats.

Dans un flot de poussière, les arrabas, les fantassins, les cavaliers, contournaient enfin le poste où ils entraient, gênés par des groupes impatiens qui guettaient la grosseur des sacs du courrier. Pointis suivait le flot, pour connaître sans retard la place que le commandant d’armes attribuerait à son campement. Il savait que l’autorité militaire, méfiante par nécessité, surveillait avec attention les actes des voyageurs. Elle flairait, chez tout civil dépourvu de lettres de créance, un protégé étranger dont les spéculations seraient grosses pour elle d’interminables ennuis. Mais, comme ses desseins étaient honnêtes, il se soumettait volontiers à un formalisme peu gênant, que les