Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/667

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loin, qui tentaient de tendre un réseau serré de convoitises autour du convoi. Les spahis ne pouvaient que les surveiller en se rapprochant peu à peu de l’escorte, tandis que les Sénégalais, confians dans leur jeune chef, se préparaient joyeusement au combat. Mais les pillards ne devaient pas se sentir en force. La conquête de la petite caravane dut leur paraître plus riche de coups que de profits, car ils s’évanouirent dans un vallon après avoir esquissé, à distance, une inoffensive fantasia.

« C’est la première fois, sur cette route, qu’ils menacent le convoi régulier, expliqua le lieutenant à Pointis qui s’étonnait de leur manœuvre. Un de ces jours, ils l’attaqueront à fond, et nous voilà obligés, dès maintenant, d’augmenter la force des escortes. Comment pourrait-on rayonner dans la campagne avec une garnison qui, déjà, suffit à peine aux constructions du poste et à la protection des ravitaillemens ? » Pointis admit la difficulté du problème, quand il eut appris que les moyens de transport manquaient pour organiser des convois plus considérables et moins fréquens. Et il s’étonna des impatiences qui semaient, comme à la volée, des postes dont les forces vives s’usaient sans gloire dans des besognes pénibles de charretiers.

La glace était rompue. Certain d’accomplir sans incident sa mission, l’officier, dont l’esprit et les yeux n’étaient plus aux aguets, parlait volontiers. Il se laissait peu à peu aller aux confidences. Avec une verve ironique, il disait ses désillusions de guerrier, ses mécomptes de colonial. Il comparait son rôle actuel à celui qu’il aurait joué ailleurs, dans quelque secteur d’Indochine ou du Centre africain. Il avait espéré les joies et les responsabilités du chef, et il se morfondait, anonyme, dans une petite garnison. Et Pointis avait le cœur serré en songeant à tous les jeunes gens dont il avait entendu les mêmes doléances, qui étaient pareils à ceux de la frontière sino-annamite, du Ouadaï ou du Congo, et qui étaient au Maroc, inertes et grincheux : « Mais tout a une fin, lui dit-il, et vous prendrez sans doute part à la colonne prochaine. Vous y trouverez sûrement l’occasion d’agir selon la formule que vous préférez. — Heu ! heu ! Je souhaite, monsieur, que vous soyez bon prophète. Mais j’ai déjà respiré, plusieurs fois, la poussière de ces vagues humanités que les grands chefs traînent en pays marocain. Et jusqu’à présent, tous ces périodiques mouvemens de troupes se