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souris, il croyait percevoir des symptômes de mort imminente. Il étouffait comme dans un cercueil, entre les planches de la baraque invisibles dans le noir. Son imagination surexcitée lui faisait éprouver les angoisses des factionnaires immobiles et attentifs derrière les parapets du poste voisin. Il frissonnait avec eux aux bouffées passagères du vent, au chuchotement des palmiers nains où il entendait le souffle contenu du Zaër aux aguets, le poignard aux dents, se coulant à plat ventre sous les feuilles vers la victime convoitée. Il sentait le froid du fer dans ses entrailles, il était aveuglé par l’éclat du coup de feu tiré à bout portant. Et, se ressaisissant, il se gourmandait de ses puériles terreurs : « Ce n’est pas étonnant, grommelait-il, si de jeunes troubades, suggestionnés par ces histoires, finissent par voir des Marocains partout et tirent dans le tas. » Il s’endormit enfin, mais sa nuit fut peuplée de cauchemars.

Dès l’aurore, les cheveux sensibles et les yeux douloureux, il était botté, prêt à partir. Il éprouva une agréable surprise en constatant que l’alerte n’avait pas effarouché les chameliers. Quand il eut appris que le convoi libre profiterait de l’escorte du convoi militaire pour arriver à Camp-Marchand, il s’expliqua leur bravoure et leur entrain. Agités et loquaces, ils équilibraient les charges, désentravaient leurs chameaux, préoccupés surtout de ne pas se laisser distancer par la troupe qui se rassemblait pour le départ, dans la grisaille de l’aube. Pointis s’approcha et reconnut une section de Sénégalais, quelques spahis, qu’un lieutenant stimulait en termes brefs. Le commandant du poste, que la fraîcheur matinale faisait grelotter, donnait, en costume de nuit, des conseils écoutés avec respect. Les officiers de la garnison, croyant l’ennemi tout proche, enviaient leur camarade auquel ils prodiguaient des souhaits cordiaux. Juchés sur le parapet, serrés en groupes autour des voitures, les marsouins de la garnison oubliaient leur insomnie en contemplant les cinq arrabas qui allaient s’enfoncer vers le Sud, dans le mystère du désert hostile, emportant les munitions destinées au « châtiment des Zaër. » Ils auraient voulu être à la place des « Sénégal » qui jacassaient dans le français bizarre adopté pour idiome commun. Ils croyaient, eux aussi, au combat inévitable, à la fuite éperdue des assaillans, et ils regrettaient de ne pas être conviés à la fête.

Courtois et déférent, Pointis avait demandé la permission de