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avec les pistes dans le sable ou les sentiers de chèvres, hérissés de cailloux, que Pointis avait jusqu’alors parcourus au Maroc. Le tracé serpentait dans les vallons boisés qui descendent vers la profonde coupure de l’oued Korifla ; une compagnie de marsouins avait adouci les déclivités, nivelé la chaussée, jeté des ponceaux sur les ravins, arrondi les tournans. Pendant des semaines, sous les yeux narquois des indigènes méprisans, les soldats de France avaient ainsi accompli des besognes de forçats : « C’était pour l’automobile du général... » expliqua le Grec qui se révélait cicérone averti. Pointis admira les desseins de la Providence et le secours puissant donné à la colonisation par le désir d’un grand chef.

Mais, au delà du Korifla, l’aspect du pays changeait sans transition. Le plateau s’étendait sans limites apparentes, et le crépuscule couvrait d’une teinte lugubre l’immensité des palmiers nains. Dominant une gorge invisible de la route, les bicoques du poste de N’Kreïla faisaient paraître plus menaçante la solitude qui les entourait. Pointis, d’ailleurs, remarqua bientôt que la nuit s’annonçait pleine d’angoisses. Une fièvre guerrière agitait la petite garnison. Des allées et venues, qui voulaient être mystérieuses, dénonçaient les embuscades préparées contre d’hypothétiques assaillans. Des éclats de lumière blanche attestaient que des troupiers malhabiles s’initiaient à la manœuvre de projecteurs. Peu confians dans le voisinage du poste, les mercantis se hâtaient de donner des ceintures de pierres sèches à leurs baraques en planches ; ils préparaient des cartouches de chevrotines et nettoyaient leurs fusils. Moins belliqueux, le débitant juif avait déjà demandé au commandant d’armes un asile derrière ses talus ; mais les Grecs, ses rivaux, riaient de ses craintes qui semblaient méprisables à leur fierté d’Européens. Peut-être, aussi, leur bravoure était-elle affermie par des pactes mystérieux.

Grâce à son compagnon de route, Pointis avait trouvé chez l’un d’eux un gite inconfortable. Couché de bonne heure sur son lit Picot, toutes lumières éteintes « pour éviter les balles, » il interrogeait son hôte improvisé. Il apprit ainsi que les tribus zaër, effrayées par les attentats des rebelles, allaient grossir, l’une après l’autre, le bloc des dissidens. Pendant longtemps, elles avaient espéré du secours ; mais elles avaient maintenant perdu confiance, et elles cédaient aux invitations et aux menaces