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celui des officiers aviateurs, modestes et discrets, dont l’entrée provoqua des chuchotemens admiratifs.

Les projets de fête nocturne succédaient maintenant aux propos belliqueux. Pointis n’écoutait plus. Il en savait assez pour deviner que les célébrités galantes de la ville se refuseraient ce soir-là aux désirs des bourgeois concupiscens. Il comprenait aussi que le hasard l’avait lancé sur une bonne piste, et que les renseignemens de son ami de Casablanca étaient exacts. Tout en effectuant un voyage d’études en pays zaër, il assisterait à des opérations militaires qui paraissaient prochaines, et dont le programme le séduisait. Alors, il considéra le « Café de Toulouse » avec plus d’indulgence ; il oublia le mauvais diner, le café tiède, le service exaspérant. Il sortit, et son auberge elle-même lui parut confortable. Sa crainte de l’eau rare, des draps douteux s’évanouit, et il s’endormit paisiblement.

Le lendemain, sur la piste déserte et poussiéreuse, le « convoi libre » avançait lentement. Pointis s’était lancé en éclaireur, suivi de son domestique arabe et d’un cuisinier sénégalais recruté à Rabat, tous deux juchés sur de paisibles mulets. Le plateau couvert de palmiers nains n’était pas propice aux embûches, et nulle fumée suspecte ne se montrait à l’horizon. Entre ses petits fossés distans de cinquante mètres, la route s’enfonçait vers le Sud, droite comme une voie romaine. Mais, à la délimiter ainsi, s’était épuisée l’ardeur novatrice d’un obscur sous-ordre stimulé par une récente circulaire du Résident général. Ce ruban de sable, découpé à l’emporte-pièce dans le sable, enflait les chiffres fallacieux des statistiques où se complaisent les amours-propres administratifs. Les deux traits de la viabilité certaine, qui le figuraient sur la carte, pouvaient narguer le touriste et décevoir le charretier : ils représentaient la route nouvelle, œuvre déférente d’un zèle obéissant.

Bientôt une masse sombre apparaissait dans le lointain. Le terrain ondulait doucement, comme soulevé par une houle expirante. La piste s’enfonçait maintenant dans les taillis rabougris d’une forêt dévastée. Derrière Pointis, l’Arabe et le Sénégalais, qui se défiaient des surprises, diminuaient sans affectation leur vitesse pour se laisser rattraper par le convoi. Cependant, les chameliers, deux Grecs qui accompagnaient des marchandises jusqu’à Camp-Marchand, quelques Juifs qui s’étaient glissés avec leurs mulets étiques dans la caravane, tous gens paisibles