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j’ai voulu aussi en être et nos trois pierres seront de compagnie dans la construction ; les vôtres feront accepter la mienne. Le bon curé avait profité de l’occasion pour m’envoyer des pommes. J’aurais bien songé à vous envoyer votre part ; mais comme les paniers ne voyagent pas avec la même facilité que les âmes, j’ai tout gardé et tout mangé. Elles étaient bonnes. Adieu, ma Rosalie, serrons-nous la main et embrassons-nous. Notre bon Jésus fera en sorte que nous trouvions là-haut notre petit coin... Votre ami.


A Madame Léontine Fay-Volnys,


15 octobre 1875.

Très chère amie, c’est l’abbé Flouel ou Nouet. L’abbé de Girardin n’étant plus en ce moment près de moi, je ne puis préciser, mais vous n’en avez plus besoin. Carpeaux a été enterré hier, sitôt pris sitôt pendu. Le bon Dieu n’attendait que d’avoir pu lui donner son billet de Paradis. On a beau le connaître, il a de ces complaisances qui surprennent. Voyez-vous, ma Léontine, il n’y a pas tant de chrétiens, mais le petit nombre suffit et sauve le grand. Dans l’immense océan du monde, ceux que Jésus a faits pêcheurs d’homme (il y a beaucoup de femmes parmi eux, depuis l’invention de la grande Marie, la grande raccommodeuse de filets) pèchent du fretin, des carpillons, des carpeaux ; ils vont jusque dans les vases ramasser jusqu’à des crabes, des moules et autres monstres ténébreux. Ils portent au bon Dieu tout cela ; le Bon Dieu prend tout cela, parce que ce sont ses chers chrétiens qui l’ont pris. Le bon Dieu ne refuse rien de ses chers chrétiens, il ne rejette rien de ce qu’ils ont pris dans les filets raccommodés par sa raccommodeuse. Il y a tant d’imbéciles qui nient ces mystères. C’est qu’ils ne comprennent rien à l’amour des hommes pour Dieu et à l’amour de Dieu pour les hommes. Rien n’est plus facile à comprendre pourtant. Ne voit-on pas tous les jours des mamans très sages et des papas très graves accepter des coquillages cassés, des fleurs fanées que leurs petits enfans ont ramassés comme des trésors pour leur plaire croyant leur offrir des merveilles, et ce sont des merveilles en effet. La merveille est l’amour qui s’attache à l’infime objet donné et reçu et qui le transfigure. Un jour la mère François qui ne se piquait pas d’être tendre et le père François qui n’a