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chauffeur lui fit décrire une courbe sans grâce et l’arrêta devant une maison indigène d’aspect médiocre, mais qu’une enseigne en grosses lettres décorait d’un nom ronflant : « C’est le meilleur hôtel de la ville, qui en compte déjà plusieurs, » avait-on dit à Pointis. Il aimait en voyage le confortable, et cet avis détermina son choix.

Tandis qu’il dînait seul dans la cour transformée en salle à manger coiffée d’une verrière malpropre, il observait la foule des cliens, assis par groupes sympathiques autour des tables en bois blanc. Dans le brouhaha des voix confuses, il entendait les mots, toujours les mêmes, qui traduisaient les espoirs et les déceptions. D’ailleurs, la poursuite des honneurs ou de la fortune paraissait moins préoccuper ces militaires, ces colons, ces commerçans, ces fonctionnaires, que les intrigues sans mystère avec les demoiselles des beuglans. Ils appréciaient les mérites, commentaient les formes, discutaient les tarifs. Quelques-uns plastronnaient, glorieux de la compagne d’occasion qui balançait, avec des minauderies précieuses, les plumes défraîchies d’un chapeau encombrant, et qui, toute fière de dîner au restaurant « avec des messieurs bien, » s’efforçait aux attitudes élégantes et au langage correct. Pointis jugea que ces échantillons de la galanterie exotique étaient encore inférieurs à ceux de Casablanca. Il ne se sentit pas le courage de promener son ennui solitaire à l’Eldorado ou au Casino, et d’affronter les voix aigres, les refrains canailles et les quêtes obsédantes. Mais il songea que sa chambre prenait jour dans la salle à manger, et qu’elle devait être empestée par les odeurs de nourriture, de graillon et de tabac. Alors il s’évada et se perdit dans la nuit.


Il consacra le lendemain aux préparatifs de son voyage. Une expérience déjà longue lui avait appris l’insuffisance chronique des renseignemens sollicités dans les bureaux officiels. Maintes fois, la courtoisie du personnel militaire n’avait pu le préserver des indications vagues et des conseils fallacieux. Il redoutait les distances erronées, les affirmations dubitatives, les échappatoires prudentes, où il devinait la méfiance instinctive des guerriers à l’égard des civils qu’ils supposaient gênans, inquiétans ou bavards. La qualité de correspondans de presse, que s’attribuaient la plupart des voyageurs, si elle déclenchait la loquacité de nombreux grands chefs ravis de parler à la cantonade,