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modestes. De ses voyages en Extrême-Orient il conservait le souvenir des bénéfices qu’on pouvait espérer d’une batellerie primitive au service des militaires et des commerçans. On l’avait vu dans les vallées du Sebou et du Bou-Regreg ; des parlementaires en mission et des journalistes l’avaient même rencontré vers Mechra-ben-Abbou et Dar-Chafaï. Cette fois encore, les méfiances ambiantes paralysèrent son ardeur. De guerre lasse, il s’était attardé dans Casablanca pour y rêver à de moins aléatoires combinaisons. Un mois après, il songeait, plus qu’il n’aurait fallu, aux yeux noirs d’une cabotine, et il résistait à grand’peine aux suggestions décevantes des spéculateurs de terrains. Il se trouvait noyé dans le nouveau flot de Tartarins cosmopolites et bruyans que la ratification du traité de protectorat déversait sur le Maroc. Il se prit soudain à regretter son boulevard, ses relations parisiennes, sa famille surtout qu’il avait abandonnée pour courir après des chimères. Et il s’apprêtait à prendre le premier « Paquet » pour rentrer en France, quand des propos de café, entendus par hasard, modifièrent sa résolution.

Selon l’expression consacrée, on devait enfin « châtier les farouches Zaër. » Une forte colonne, dirigée par un chef réputé, s’organiserait à Rabat, Maaziz et Camp-Marchand ; on était décidé à poursuivre les rebelles dans leurs plus lointaines retraites, jusque dans les gorges de l’oued Grou, à briser les résistances et à mettre fin à l’anarchie. Pointis s’était renseigné. Un officier d’état-major, de ses amis, avait consenti à trahir en sa faveur le secret de Polichinelle. L’attrait d’une randonnée derrière nos troupes, à travers une région dont quelques initiés vantaient l’aspect sauvage et pittoresque, le souvenir de lectures sur les entreprises minières des Portugais, l’avaient décidé à voir, comme dernière expérience, « s’il n’y avait pas quelque chose à faire par là. » Il se promettait de ne pas utiliser les Grecs qui ouvraient boutique autour des postes et qui se tenaient ainsi à l’affût des bonnes affaires, les Juifs qui servaient les deux partis, les protégés qui négociaient avec les cadis besogneux de redoutables combinaisons. Il espérait que sa patience de vieux routier serait enfin récompensée, que les montagnes lui dévoileraient leurs secrets et les filons leurs richesses dans un pays d’où la mauvaise réputation des habitans avait jusqu’alors éloigné les touristes et les agioteurs.