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Dès cette époque les messagers avaient des rivaux : les courriers de la poste, seuls en droit d’amener les étrangers à la Cour ; les propriétaires des coches aussi qui, pour atténuer la concurrence des messagers, leur faisaient défendre, par des arrêts vainement renouvelés, de mener avec eux plus de trois personnes « prises au lieu de leur parlement ou par rencontre. » Surtout qu’ils ne prétendissent s’adjoindre aucun véhicule ; tout au plus leur est-il loisible d’avoir pour les bagages une charrette « non ridelée, » — dépourvue de montans latéraux, — « avec une couverture de toile non cirée ni gommée. »

De leur côté, les messagers, dont le nombre au XVIIe siècle allait croissant, soit par création royale de nouveaux offices, soit par des conventions bien plus effectives conclues avec les municipalités, se défendaient avec énergie : c’est un procès bien curieux que celui qu’ils intentent et qu’ils gagnent contre les courriers coupables d’avoir indûment établi de nouveaux bureaux de poste (1649), tandis « qu’il ne devait y en avoir que dans les chefs-lieux de généralités. » Le Parlement, « ouï Talon pour le procureur général, interdit rétablissement de la poste à Troyes, Beauvais, Reims, Le Mans, Laval, Cognac, Mâcon, par cette seule raison, à coup sûr péremptoire, qu’il n’y en avait jamais eu auparavant ! »

Malgré la multiplication des diligences, les messagers subsistèrent à côté d’elles jusque vers la fin du règne de Louis XV : en 1770, le messager de Toulouse partait de Paris le mercredi et prenait 280 francs à ses voyageurs « montés et nourris ; » les villes moyennes, que ne desservaient ni carrosses ni fourgons, s’estimaient heureuses d’avoir un messager qui faisait, comme celui d’Avranches, ses 320 kilomètres en 6 jours. Seulement, celui qu’alors on nommait ainsi n’était plus un petit patron qui opérait pour son compte, c’était un employé, « cavalier des messageries, » espèce fort peu réglée et assez rude, qui a souvent maille à partir avec les aubergistes. Le messager nominal, passé bourgeois et devenu sédentaire, comme il arrive dans toute industrie florissante aux ouvriers de la première heure, allait être remboursé de son office par la fusion en une administration unique, sous Louis XVI, de toutes les entreprises de transport.

Mais cette transformation ne changea rien à l’inégalité profonde que le progrès matériel, depuis le moyen âge jusqu’au XVIIIe siècle, avait introduit et accru sans cesse entre les différentes