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à la même époque, j’ai suivi une des plus grandes routes à trente milles de Paris ; je n’ai rencontré qu’une voiture de personne aisée et rien davantage qui y ressemblât. » Les déplacemens étaient-ils donc aussi rares à la veille de la Révolution qu’au milieu du XIVe siècle où, d’après les registres du péage d’Aix (1348), il passait au maximum treize personnes par jour allant de Provence en Languedoc ou vice versa.

En tout cas, malgré l’invention des voitures publiques, il existait il y a cent vingt ans, entre les voyageurs riches et pauvres, plus de différence au point de vue du confort et il en existait autant au point de vue de la rapidité, qu’il y en avait eu à l’époque où les deux modes de locomotion, — à pied et à cheval, — disparus de nos jours en pays civilisés, étaient seuls en usage. Si la capacité de marche des piétons ne variait guère, celle des cavaliers offrait une diversité extrême :

Tantôt, montés sur quelque médiocre bête de louage, leur étape quotidienne ne dépasse pas une trentaine de kilomètres ; tantôt, chevauchant sans arrêt, ils font jusqu’à 170 kilomètres par vingt-quatre heures. Un courrier parcourt en trente heures (1421) les 210 kilomètres qui séparent Barcelone de Perpignan.

Les grands événemens s’apprenaient ainsi plus vite que nous ne serions portés à le supposer : le 28 août 1572, quatre jours après la Saint-Barthélemy, passe à Châteauneuf-de-Mazenc, près Montélimar, un messager annonçant de « prendre garde, car à Paris l’y aurait eu quelque tumulte ! » La nouvelle avait donc mis une centaine d’heures à franchir les 671 kilomètres qui séparaient la capitale de ce petit bourg du Dauphiné. Lorsque Charles VII mourut au château de Meung, près de Bourges, le 22 juillet 1461, entre une et deux heures de l’après-midi, trois messagers furent aussitôt dépêchés au Dauphin à Genappe, en Brabant, à 530 kilomètres de là ; « ils crevèrent trois chevaux, » dit le chroniqueur et, moins de quarante-huit heures après, Louis XI apprenait qu’il était roi. Comme contraste à ces vitesses exceptionnelles, un messager à cheval met sept jours et demi pour aller de Montbard (Bourgogne), à Corbeil, près Paris (1384), faisant ainsi 28 kilomètres par jour ; un maçon en fait 30 dans un voyage (aller et retour), de Rouen à Lyon et Grenoble (1477) où il emploie 52 jours.

De grands personnages cheminent avec une lenteur égale ; lorsque, par exemple, l’empereur Charles IV, quittant Paris après