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infligée, mais on leur envoyait un garnisaire de la maréchaussée pour les forcer à remplir leur temps de service et on les punissait de prison.

Cette rigueur trouva son excuse dans le profit qu’en tira le pays ; il lui doit ses artères principales, les routes royales que l’étranger admirait sous Louis XVI. Turgot lui-même dut se résoudre à maintenir la charge qu’il s’était un instant flatté d’alléger ; tout au plus un euphémisme en changea-t-il le nom : l’édit de février 1776, qui abolissait les corvées, fut lui-même abrogé deux ans après par une déclaration qui rétablit « l’ancien usage observé pour la réparation des grands chemins. » En effet, il y avait deux ans que leur entretien était entièrement suspendu.

La propriété fut réquisitionnée avec autant de sans-gêne que le travail : les chemins, devant être aussi droits que possible, passèrent au travers des terres des particuliers sans distinction de personnes et sans égard à leurs réclamations contre ces emprises. A titre de dédommagement, on leur délaissa, s’il se pouvait, le sol des anciens chemins abandonnés et, si ce troc était impossible, une indemnité leur fut promise, payable, si elle n’excédait pas 650 francs, en espèces, ou, si la somme était plus forte, en terres, « par l’abandon de surfaces de même valeur. » Qui connaît les usages de l’ancien régime estimera que ces indemnités durent être assez aléatoires.

Une bande de pavé occupa le milieu de la route ; l’idée n’était pas neuve, mais la réalisation en était lente : en 1775 seulement, on commençait à paver la grande avenue au milieu des Champs-Elysées ; sur le chemin de Paris à Versailles, le pavage était si étroit que, les jours de presse, où l’on s’embourbait dans les accotemens, le voyage durait trois heures. Sur les routes moins fréquentées, ce simple ruban ininterrompu de pierres planes, c’était une révolution bienfaisante ; ce fonds solide, c’était le salut.

Pourtant le public n’avait pas le respect de ce pavé qui allait lui rendre tant de services. On volait pendant la nuit les pavés destinés aux ouvrages du lendemain ; bien mieux, des portions considérables de chaussées se voyaient dépavées par des gens qui s’appropriaient pour leur usage particulier les dés de grès ainsi dérobés, les fendaient, les débitaient à leur profit ou les vendaient aux marbriers. Jusqu’en 1781 des ordonnances royales le déplorent et défendent d’enlever les pavés. Il en coûtait