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mais je le crois bien présentement à Nantes. — Comment, dit le Roi, de qui croyez-vous que je vous parle ? c’est du pont de Moulins. — Oui, Sire, répliqua Charlus, c’est 1ê pont de Moulins qui s’est détaché tout entier et tout d’un coup, la veille que je suis parti et qui s’en est allé à vau-l’eau. » Le Roi et Mansart demeurèrent aussi étonnés l’un que l’autre, et le fait se trouva vrai. Il en était déjà arrivé autant à Mansart, et de la même façon, au pont de Blois.

Une rivière devenait-elle infranchissable, les populations en prenaient leur parti comme d’une éventualité fatale à laquelle le sage doit se résigner ; mais la route changeait. Le pont de Cravant, sur le chemin de Paris à Lyon par Autun, s’étant écroulé en 1720, on resta 40 ans sans le reconstruire ; l’ancienne route horizontale étant par là interceptée, la circulation dut s’en frayer une autre à la sortie d’Auxerre à travers les montagnes, qui subsista jusqu’en 1840. La route des vallées, ayant entièrement péri par ce long abandon de quarante ans, n’avait pas été reprise en 1760 après la reconstruction du pont, si bien qu’il fallut en 1837 la refaire à neuf.

Le même fait se produisait quand une portion de route devenait impraticable, comme celle de Toulouse, entre Orléans et Romorantin, sur une longueur de 9 à 10 lieues : « les messagers et rouliers, écrit l’intendant (1771), préfèrent en prendre une autre quoique plus longue. » Si le tracé changeait ainsi, sous Louis XV, quand la viabilité devenait trop défectueuse, on peut croire qu’il en fut souvent de même aux temps antérieurs ; le grand chemin en prenait à son aise, il se détournait de lui-même, malgré les protestations des villages qu’il traversait naguère et qui se plaignaient vainement de son abandon.

La question de distance était peu de chose auprès de la commodité et du bon marché des transports. De là des zigzags, bizarres à nos yeux modernes, imposés à nos aïeux par la pénurie des communications : bien des chemins ne pouvaient être utilisés que l’été ; en toutes saisons, « le plus droit » n’était pas toujours « le plus aisé, » ni « le plus plaisant et sûr. » Mieux valait aller de Paris à La Rochelle par Marans et la voie de mer, ou faire un détour par Luçon et Thouars, que de prendre la route directe par Poitiers, qui obligeait à passer les marais dans des gabarres. Durant les longues périodes de guerre avec les « Impériaux, » on allait de Paris en Suisse par Lyon, pour