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raccourcir les essieux des petites roues, afin qu’ils ne fussent pas accrochés sans cesse par les bords en cuvette des talus.


II

La grosse affaire c’étaient les ponts ; il y eut au XIIIe siècle des « frères pontifes, » ou constructeurs de ponts pieux, car l’établissement d’un pont était alors une œuvre pie : le pont de la Guillottière, à Lyon, fut subventionné par le pape Innocent IV en indulgences autant qu’en argent. Les frères pontifes, pour édifier sur le Rhône le pont Saint-Esprit, appelèrent à leur aide les « sœurs maçonnes, » confrérie de femmes qui exécutaient les travaux à portée de leur sexe.

Mais les fonds manquaient ; le « denier à Dieu » des boîtes monétaires, qui devait procurer des ressources, était toujours détourné de sa destination. Puis les connaissances techniques, jusqu’au XVIIe siècle, étaient imparfaites ; le défaut d’alignement et de parallélisme des piles, l’irrégularité de leur espacement, les empattemens énormes, à l’aide desquels on espérait suppléer au manque d’enracinement solide et qui devenaient une cause de ruine en obstruant l’écoulement des eaux, toutes ces causes réunies contribuaient à rendre les ponts très rares, assez fragiles et difficiles à refaire quand ils s’écroulaient.

L’histoire des ponts, féconde en échecs, pleine de négociations compliquées et d’efforts stériles, nous montre l’humanité d’hier aux prises avec des difficultés que ne conçoivent plus les générations actuelles, du moins en pays civilisé. Le pont de Bergerac en fournit un exemple : seul, sur la Dordogne, il reliait le Nord au Sud, le Poitou a la Guyenne. Mal entretenu au temps des guerres anglaises, il est emporté par une crue en 1444 ; on se contenta d’un bac jusqu’en 1502, où l’on fit marché pour un pont de bateaux qui devait coûter 25 000 francs. Un pont moitié pierre moitié-bois lui succède en 1509 ; brûlé par le chevalier de Montluc en 1568, un pont de bois le remplace en 1571 et dure jusqu’en 1615, où une crue de la rivière le détruit. Relevé, toujours en bois, objet d’un entretien annuel onéreux durant tout le XVIIe siècle, il est encore emporté en 1728. Considérant alors que, par ses nombreuses piles, il encombre le lit du fleuve, on décide de le reconstruire en pierre ; mais, faute