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n’aura pas de peine à le croire lorsqu’on voit, dans les comptes de Louis XI, parmi les sommes payées à ceux qui guident ce prince d’un point à l’autre de son royaume, la gratification de 50 francs[1] en juin 1479 à l’homme « qui servit de guide au Roi du bois de Vincennes jusques à Saint Denis et de là à Louvres. » Rien d’étonnant par suite si le voiturier de cette époque se perd souvent dans un court trajet entre deux villes voisines, comme l’explorateur aujourd’hui entre deux villages de l’Afrique équatoriale.

La venue d’un prince, d’un personnage de marque, avait cela de bon au moyen âge pour l’édilité que l’on ne se contentait pas de joncher de verdure les rues qu’il devait parcourir, mais qu’aussi l’on ôtait le fumier qui les encombrait, « pour élargir le chemin par lequel gens de cheval ni charrettes ne pouvaient passer ; » les autorités se remuaient et forçaient les possesseurs des terrains limitrophes à « rhabiller la route » d’urgence. Pareils expédiens étaient encore de mise sous Louis XIV, puisque Colbert écrit à l’intendant de Bourbonnais, où devait aller le Roi : « Il faut faire remplir les mauvais endroits de cailloux ou de pierres, s’il y en a dans le pays ; sinon, les remplir de terre avec du bois ; et vous pouvez encore employer un troisième moyen qui serait de faire ouvrir les champs en abattant les haies et en remplissant les fossés pour le seul passage du Roi. Ce sont là les expédiens dont on s’est toujours servi pour faciliter les voyages du Roi dans toutes les provinces par où Sa Majesté doit passer. » En 1788, à la fin de la monarchie, l’intendant de la généralité de Tours écrivait à la municipalité de Saumur « d’avoir à rendre praticable le chemin qui conduit à cette ville, afin que le carrosse de Mesdames, sœurs du Roi, qui devait y passer, ne reste pas embourbé comme à leur précédent voyage. »

Tomber dans des trous pleins d’eau, où l’on pense se noyer, traverser des kilomètres de terrains marécageux au risque, pour les chevaux et les cavaliers, d’y rester enlizés en hiver, s’enfoncer dans les boues au milieu d’un village, verser par la maladresse d’un postillon, se casser un membre ou perdre la vie,

  1. Ce prix, ainsi que tous ceux qui sont contenus dans cet article, est un prix actuel, établi en tenant compte du pouvoir relatif d’achat des métaux précieux aux diverses époques, ainsi que de la valeur intrinsèque des anciennes monnaies par rapport au franc de 1913.