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sous les traits duquel l’auteur s’est évidemment peint lui-même, — nous savons par Robert de Bonnières qu’il s’occupait alors de physiologie, comme il s’était auparavant occupé d’archéologie préhistorique, — et qui sans aucun doute parle au nom de M. France quand il s’écrie : « Je prouverai que les stoïciens ne savent ce qu’ils disent et que Zénon était un imbécile. Vous ne connaissez pas Zénon, mademoiselle ? Ne le connaissez jamais. Il niait la sensation. Et tout n’est que sensation. Vous aurez des stoïciens un aperçu exact et suffisant quand je vous aurai dit que c’étaient des fous sans gaité qui méprisaient la douleur avec une affectation insipide. » Le futur moraliste du Jardin d’Épicure n’a jamais été tendre pour les adversaires de ses doctrines.

Enfin, au mois d’avril 1881, paraissait le Crime de Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut. Quoique l’ouvrage ait été couronné par l’Académie, il ne me semble pas qu’il ait été, dans sa nouveauté, accueilli par la critique et le grand public comme il méritait de l’être[1]. Car il n’est pas bien loin d’être un petit chef-d’œuvre, ce mince volume dont la grâce discrète et subtile est allée au cœur de tant de lecteurs. A le relire aujourd’hui, après trente années écoulées, le charme ne s’en est pas évaporé : il est aussi frais, aussi pénétrant qu’au premier jour. Et assurément, le livre n’est pas sans défauts : mais de quel chef-d’œuvre authentique ne pourrait-on en dire autant ? Ce n’est pas, à proprement parler, un roman, ni même un livre : c’est la juxtaposition de deux longues nouvelles, de deux » épisodes » dont l’unique lien commun est d’avoir pour héros le même personnage, un vieux savant naïf, célibataire et philosophe ; et le titre même de l’ouvrage ne s’applique qu’au second de ces épisodes. Il y a de plus des longueurs, des digressions, des invraisemblances,

  1. La 4e édition, qui porte la mention « ouvrage couronné par l’Académie française, » est de 1882. C’est dire qu’en une année (avril 1881-mai 1882), il s’est vendu 1 500 exemplaires, et peut-être plus, du livre. En 1896, il n’était parvenu qu’à la 27e édition. Aujourd’hui, il en est à la 133e. « La naïveté du savant, l’ingénuité de son âme, et sa bonté sont peintes d’une façon charmante, — disait le rapport académique. — Le récit est vif et l’intérêt soutenu. Si parfois le style tombe un peu dans la préciosité, sa facture en général, est plutôt bonne, élégante et correcte. L’Académie a voulu honorer par une récompense exceptionnelle une œuvre délicate et distinguée, exceptionnelle aussi peut-être. »
    En ce qui concerne l’édition originale, les bibliophiles distinguent les exemplaires à couverture bleue, les plus recherchés, et les exemplaires à couverture jaune.