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et de trop vécu pour avoir été inventés de toutes pièces. « Quel Dieu inepte et féroce avait muré dans la pauvreté son âme pleine de désirs ? » Est-ce le fils du relieur, est-ce son biographe qui parle ainsi ? La forme courte et rapide, plus nerveuse, plus directe, — le mot est d’Edouard Rod, — qu’elle ne l’est généralement chez M. France, annonçait un écrivain. « Œuvre d’un rare mérite, » disait Maxime Gaucher dans la Revue bleue ; et M. de Wyzewa nous a confié plus tard la très vive émotion que lui avait procurée la lecture de ce livre[1] : il ne semble pas avoir eu beaucoup de succès.

Jocaste et le Chat maigre, deux longues nouvelles réunies en un seul volume, l’une un peu bien mélodramatique, l’autre trop caricaturale, laissent au lecteur une impression trop indécise pour s’imposer à son attention avec cette force et cette autorité qui classent d’emblée un écrivain et font que l’on s’attache désormais à lui. L’originalité réelle du talent perce dans certains épisodes et certains personnages ; mais elle est trop composite, mêlée de trop d’élémens d’emprunt pour apparaître en pleine lumière ; l’observation aiguë et d’ailleurs trop souvent ironique de la réalité est associée trop étroitement à la fantaisie, à la convention même, pour qu’un peu de gêne et de malaise ne se glisse pas dans les esprits, — ce sont les plus nombreux, — qui aiment dans les livres l’unité de ton, d’inspiration et de facture. Enfin, il arrive à ce romancier qui se fera bientôt une réputation, généralement justifiée, de pureté classique, d’écrire des phrases comme celles-ci : « sous l’influence de l’excitation que ce sentiment imprimait à toutes ses facultés... » — « A mesure que ces faits élégans et tristes lui apparaissaient par suite d’un examen subjectif et d’une enquête intérieure[2]. » Mais toutes ces défaillances n’empêchent pas le général Télémaque d’être une invention bien réjouissante, et M. Fellaire de Sisac d’être un assez vivant fantoche, encore qu’il soit trop imité de certains personnages d’Alphonse Daudet. La figure la plus originale de ces deux récits, c’est peut-être celle de René Longuemarre, le carabin cynique et sentimental,

  1. Teodor de Wyzewa, Nos maîtres. Perrin, 1895, p. 216-217.
  2. Jocaste et le Chat maigre, éditions actuelles, p. 122, 160. — L’édition originale est précédée d’une Préface qui a été supprimée depuis ; cette Préface renferme une petite nouvelle intitulée André, laquelle figure aujourd’hui, avec de curieux changemens, dans le Livre de mon ami.