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Un goût singulier de la volupté, de la sensualité même, y perce souvent, et l’on peut, sans être prude, trouver que ces « inquiétantes gaités de jeune faune » reviennent avec une insistance quelque peu indiscrète. L’historien s’attarde avec une visible complaisance aux anecdotes scabreuses, et il les conte en termes dont la décence extérieure même est dépourvue de toute timidité. Il en glisse, de ces anecdotes, jusque dans la vie de l’honnête Marguerite de Valois, et les mésaventures de Scarron et les escapades de l’abbé Prévost ont en lui le plus joyeux des narrateurs. L’étude si lestement troussée sur les Aventures de l’abbé Prévost a parfois l’air d’une première version de la Rôtisserie de la reine Pédauque, et » ce gros garçon, de vive humeur et de complexion sanguine » qui, « enclin à l’amour » et « ne s’accommodant pas de servir en même temps Dieu et les demoiselles, » « saute par-dessus les murs de son couvent et s’en va mener joyeuse vie avec toutes les Manons qu’il rencontre »[1] pourrait bien avoir fourni quelques traits au peintre rabelaisien de maître Jérôme Coignard. Dans une fort intéressante Vie de Nicolas Fouquett à propos de l’amitié de Pellisson et de Mlle de Scudéry, M. France nous dira encore : « Beaux tous deux, ils n’eussent pas fait de leur liaison un artifice si compliqué ; ils se fussent aimés tout naturellement ; mais il était laid, elle était laide. Et comme il faut aimer en ce monde (tout le dit), ils s’aimèrent avec ce qu’ils avaient, avec leur bel esprit et leur subtilité. Ne pouvant faire mieux, ils firent un chef-d’œuvre[2]. » Et dans une notice sur Albert Glatigny : « Est-ce que les heures d’amour ne sont pas les seules qui comptent dans la vie ? Qu’importe que le temps nous soit mesuré, si l’amour ne nous l’est pas ? Souhaitons, pour chacun de nous, que le songe de la vie soit, non pas long et traînant, mais affectueux et consumé de tendresse[3]. » Et voilà, certes, une aimable et accommodante philosophie.

  1. Histoire de Manon Lescaut, par l’abbé Prévost, avec une notice par Anatole France, Lemerre, 1878, in-8, p. VI-VII. Trois pages sont consacrées à nous donner un aperçu des nocturnes tentations monastiques.
  2. Le Château de Vaux-le-Vicomte, dessiné et gravé par Rodolphe Pfnor, accompagné d’un texte historique et critique par Anatole France, Paris, Lemercier, 1888, in-f°, p. 34.
  3. Œuvres d’Albert Glatigny, notice par A. France. Lemerre, 1879, p. XXXI.