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A fréquenter les poètes, et surtout les poètes grecs, à faire des vers lui-même, M. France, on le voit, a gagné d’écrire bien joliment en prose.

Un trait commun à toutes ces Préfaces, à toutes ces notices biographiques, c’est d’être non seulement bien finement écrites, mais encore extrêmement vivantes. On peut, je crois, scruter plus profondément que M. France ne l’a fait la vie intérieure et la pensée d’un Chateaubriand ou d’un Molière, d’un Bernardin ou d’un Scarron, d’un abbé Prévost ou d’une Marguerite de Valois, d’un. Racine ou d’une Henriette d’Angleterre : on ne saurait évoquer avec une verve plus attachante et, parfois, plus amusée, les événemens de leur vie extérieure. On sent un homme que le spectacle de la vie largement éployée, sous toutes les formes, intéresse prodigieusement, et qui, peut-être même, prend d’autant plus de plaisir à ses éphémères contingences, qu’il est plus intimement convaincu que c’est la seule réalité que nous puissions véritablement saisir. Puisque tout n’est que phénomène, puisque l’être nous échappe, puisque nous vivons dans un monde merveilleusement ondoyant et divers d’apparences et d’illusions, sachons nous contenter de ce que la vie nous offre : contemplons ces apparences, jouissons de ces illusions, et puisque l’art nous est un moyen, sinon d’en assurer l’immortalité, tout au moins d’en prolonger la durée et d’en perpétuer un peu le souvenir, donnons-nous la subtile jouissance de faire revivre dans notre pensée et dans la pensée de ceux qui nous liront les vies les plus mémorables d’autrefois... Il me paraît peu douteux qu’une idée de ce genre ait sinon déterminé, du moins inspiré et soutenu les études biographiques de M. France[1] : il a conçu chacune d’elles comme un petit roman vrai, et il a mis à raconter ces divers romans toute son imagination et tout son art de poète.

Très diverses de ton, et comme baignées chacune d’une lumière historique différente, — l’auteur de Thaïs a toujours excellé à imiter et à reproduire le langage des personnages et

  1. « Les plus belles images entre celles qu’il (Racine) a créées vivront longtemps dans les âmes. Nous dirions qu’elles sont immortelles si quelque réflexion et les enseignemens scientifiques de notre siècle ne nous avaient appris que l’homme ne construit rien pour l’éternité. On prend peut-être un intérêt plus sensible aux créations des poètes quand, sachant qu’elles sont les plus belles choses du monde, on songe qu’elles sont périssables. » (Les Œuvres de Jean Racine, notice par Anatole France, t. I, p. LV.)