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Taine ou Sainte-Beuve ? En ce qui concerne M. France, l’examen s’impose d’autant plus que, à l’époque où nous sommes, entre 1870 et 1880, les éditions qu’il a signées de Racine, de Paul et Virginie, de Manon Lescaut, de Molière, du Diable boiteux, d’Albert Glatigny, de l’Heptaméron, des Poésies de Sainte-Beuve, d’Atala et de René, et des œuvres de Lucile de Chateaubriand, du Jocko de Pougens, de Bernard Palissy constituent le plus clair de son activité, au moins extérieure ; que, s’il réunissait en un volume toutes les notices, introductions ou préfaces qu’il a écrites, le volume serait à la fois très intéressant et considérable ; et qu’enfin, s’il faut en croire un de ses amis, Robert de Bonnières, « il se plaisait beaucoup à ces sortes de travaux, et qu’il a fallu vraiment l’en arracher. »

Supposons donc recueillies toutes ces pages éparses[1], et tâchons d’en indiquer l’intérêt. On a loué, — c’est Octave Gréard, — en M. France son « goût de l’érudition. » « En toute chose, lui disait l’élégant moraliste en le recevant à l’Académie, il faut que vous remontiez aux sources, que vous touchiez la date sûre, le détail vérifié, le document incontestable. » C’est beaucoup, et c’est trop dire. L’érudition véritable exige moins de « paresse » que n’en avoue fréquemment l’auteur de Thaïs. Il est curieux sans doute, et généralement assez bien informé des sujets qu’il traite ; mais son information est assez rarement de première main. Quand il insère dans ses notices des documens nouveaux, des pièces originales, il n’a pas eu à les chercher bien loin : son ami Etienne Charavay lui a ouvert ses cartons[2]. D’autre part, je soupçonne qu’il n’a pas dû le plus souvent surveiller lui-même l’établissement critique et l’annotation des textes qu’il préfaçait. Et enfin, il n’a pas su toujours se garder de certaines erreurs qu’il aurait pu aisément éviter, même à l’époque où il écrivait. Il y a, par exemple, bien des inexactitudes dans la notice qu’il a consacrée à Bernard Palissy, — on n’a, pour s’en convaincre, qu’à ouvrir le remarquable livre de M. Ernest Dupuy sur le même sujet. Il y en a aussi plus d’une dans l’étude sur la Jeunesse de Chateaubriand qu’il a mise en tête de son édition d’Atala : l’ingénieux biographe se trompe quand il nous déclare qu’Atala a

  1. Un certain nombre d’entre elles ont été recueillies, et retouchées, dans le récent volume intitulé Génie latin (Lemerre, in-16).
  2. Voyez entre autres les notices sur Bernardin de Saint-Pierre, sur Henriette d’Angleterre, sur l’Elvire de Lamartine.