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corinthiennes, ait renoncé, au moins extérieurement, à la poésie. M. Lanson, qui a consacré à l’auteur de Thaïs une fine et pénétrante notice, échafaude là-dessus une très ingénieuse théorie : d’après lui, la forme du vers convient mal à l’expression d’une pensée riche, nuancée, subtile, comme l’est celle des plus intelligens de nos contemporains. Il me semble pourtant que la complexité de leur intelligence n’a pas empêché Vigny, ni, plus près de nous, Angellier, d’écrire de très beaux vers, et même d’avoir une préférence marquée pour la forme poétique. L’explication est sans doute plus simple. La poésie, aujourd’hui plus que jamais, est un luxe, — et un luxe qui assure malaisément, ne parlons même pas de la gloire, mais la grande notoriété, et, — disons les choses comme elles sont, — le pain quotidien. Il est donc tout naturel qu’un artiste, même de grand talent, et qui, en d’autres circonstances, serait devenu, sinon un grand, tout au moins un excellent poète, après avoir publié quelques vers, un peu découragé de n’être goûté et connu que d’un cercle assez restreint, veuille enfin prendre contact avec le grand public, et se laisse tenter par des genres plus « productifs, » la critique, ou l’histoire, par exemple, et surtout le roman. Ce fut le cas de nombre d’écrivains au XIXe siècle. Ce fut aussi celui de M. France.


IV

Il est d’usage, quand on parle de M. Anatole France, de ne tenir aucun compte des éditions d’anciens chefs-d’œuvre qu’il a procurées, — ou tout au moins préfacées. Je crois qu’on a tort. « Travaux de librairie ! » pense-t-on sans doute dédaigneusement. Mais est-on bien sûr que ces travaux soient toujours « commandés » par le libraire ? N’y a-t-il pas des cas, plus nombreux qu’on ne l’imagine, où l’habitude de vivre avec certains livres de chevet nous inspire le désir de les répandre, de les commenter et, en les commentant, de dire les raisons profondes de notre attachement littéraire ou moral ? et notre commentaire ne devient-il pas alors une page de notre vie intérieure ? Et puis, les travaux, même « commandés, » valent ce que valent ceux qui les acceptent. Croit-on que si Sainte-Beuve, Taine ou Renan avaient fait des éditions classiques, ces éditions ne seraient pas utiles à consulter pour qui voudrait connaître à fond Renan,