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christianisme naissant. La Préface est fort curieuse, et mérite d’être citée tout entière :


Je touche en ce livre à des choses grandes et délicates, aux choses religieuses. J’ai refait le rêve des âges de foi ; je me suis donné l’illusion des vives croyances. C’eût été trop manquer du sens de l’harmonie que de traiter sans piété ce qui est pieux. Je porte aux choses saintes un respect sincère.

Je sais qu’il n’est point de certitude hors de la science. Mais je sais aussi que les vérités scientifiques ne valent que par les méthodes qui y conduisent et que ces méthodes sont inaccessibles au commun des hommes. C’est une pensée peu scientifique que de croire que la science puisse un jour remplacer la religion. Tant que l’homme sucera le lait de la femme, il sera consacré dans le temple, et initié à quelque divin mystère. Il rêvera. Et qu’importe que le rêve mente, s’il est beau ? N’est-ce pas le destin des hommes d’être plongés dans une illusion perpétuelle ? Et cette illusion n’est-elle pas la condition même de la vie ?


Oui, plus j’y songe, plus cette page me paraît significative, plus elle me semble éclairer d’une vive lumière l’œuvre tout entière de M. Anatole France. Elle exprime du moins admirablement sa philosophie à cette date. S’il avait, quelques années auparavant, publié son credo, ce credo eût été, je crois, d’inspiration comme d’expression, plus rude, plus intransigeant, plus « sectaire. » Mais le temps a fait son œuvre ; s’il n’a pas entamé les croyances essentielles du poète, il les a adoucies, humanisées ; il l’a rendu plus indulgent, plus hospitalier aux croyances contraires. Par largeur intellectuelle, par épicurisme sentimental, par élégance esthétique, il a fait, comme Renan, le rêve, — la gageure peut-être, — de parler avec « un respect sincère » des « choses saintes, » sans y croire, et de se donner même, à force d’imagination et de sympathie critique, « l’illusion des vives croyances. » Y réussira-t-il longtemps ? Y réussira-t-il toujours ? Et, comme pour Renan, son tempérament ne finira-t-il pas par donner de cruels démentis aux généreuses velléités de sa pensée ? Le problème est maintenant posé publiquement, et nous ne tarderons pas à pressentir la solution que la vie va en préparer.

Dès les premiers vers du poème, dans l’invocation à Hellas, — invocation très belle, encore qu’imitée de Leconte de Lisle, — on lit ceci :


Moi, cet enfant latin qui te trouva si belle
Et qui nourrit ses yeux de tes contours divins...