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Heureux qui, comme Adam, entre les quatre fleuves,
Sut nommer par leur nom les choses qu’il sut voir,
Et de qui l’écriture est un puissant miroir
Fidèle à les garder immortellement neuves[1] !


Et cette strophe de la curieuse pièce intitulée le Désir :


Vivez, mourez, pleines de grâce ;
Les hommes et les dieux, tout passe,
Mais la vie existe à jamais.
Et toi, forme, parfum, lumière,
Qui fleuris ma vertu première,
Ah ! je sais pourquoi je t’aimais[2] !


Et ces vers extraits de la Part de Madeleine :


La tristesse rendait plus belle sa beauté ;
Ses regards au ciel bleu creusaient un clair sillage.
Et ses longs cils mouillés étaient comme un feuillage
Dans du soleil, après la pluie, un jour d’été[3].


Et pourtant, malgré tant de qualités diverses, l’originalité de cette poésie n’apparaît pas assez neuve, les multiples sources auxquelles elle puise ne sont pas assez fondues dans l’intimité

  1. Poésies de Anatole France, éd. actuelle, p. 118. — La pièce, intitulée Au Poète, ne figure pas dans l’édition originale des Poèmes dorés. — Le premier vers est une imitation de Du Bellay, dans le sonnet célèbre :

    Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage.

    Quatre autres pièces ne figurent pas dans l’édition originale des Poèmes dorés : ce sont la Perdrix, Ames obscures, les Choses de l’amour..., la Veuve ; ces deux dernières sont déjà dans l’édition originale des Noces corinthiennes. En revanche, l’édition originale des Poèmes dorés comprenait une pièce, Blason, qui n’est pas dans les éditions actuelles.
  2. Le Désir (les Poèmes dorés, éd. originale, p. 39). — La première partie de cette pièce est datée, dans l’édition originale, de septembre 1863, la dernière, de juin 1869. — Le vers

    Qui fleuris ma vertu première

    est d’ailleurs singulièrement obscur.
  3. Poésies de Anatole France, éd. actuelle, p. 124. L’édition originale des Poèmes dorés porte :

    On ne sait quoi de pur embellit sa beauté.

    La pièce a figuré, avec la Danse des morts, dans le Parnasse de 1869 : elle comprenait alors cinq strophes de plus qu’aujourd’hui ; deux de ces strophes primitives ont été conservées dans l’édition originale. En voici une :
    Sur la haute terrasse assise solitaire,
    Par la nuit indulgente, à l’heure des aveux,
    Elle laissait rouler, dans l’or de ses cheveux,
    Des perles, doux spectacle aux amans de la terre.