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d’édition ; une place de « commis-surveillant » à la bibliothèque du Sénat que lui avait procurée Leconte de Lisle lui laissait quelques loisirs[1] : il lisait beaucoup, rêvait encore plus, se livrait sous les ombrages du Luxembourg, avec quelques jeunes gens, — dont était M. Bourget, — à d’interminables discussions où il affirmait sa foi intransigeante et encore inentamée dans le déterminisme et dans la science ; il écrivait des articles, un roman, — les Désirs de Jean Servien sont de cette époque, — il écrivait des vers. Un recueil se trouva prêt, et, dans les premiers mois de 1873, paraissaient les Poèmes dorés.


III

« A Leconte de Lisle, auteur des Poèmes antiques et des Poèmes barbares, en témoignage d’une vive et constante admiration, ce livre est dédié par Anatole France. » Jamais dédicace ne fut plus justifiée que celle-là. Elle est partout, dans les Poèmes dorés et dans les Idylles et légendes, qui leur font suite, comme elle sera dans les Noces corinthiennes qui leur succéderont, l’influence du maître des Poèmes barbares ; et si ce n’est pas la seule, si M. G. Michaut y a justement relevé des réminiscences ou des imitations de Sully Prudhomme et de Coppée, de Sainte-Beuve et de Dickens, de Vigny et de Victor Hugo, — on peut ajouter : de Baudelaire[2], — c’est pourtant celle qui prédomine. On pourrait appliquer au poète ce qu’il disait lui-même jadis, à propos du Reliquaire de François Coppée : « Un nom très aimé et très vénéré, le nom de Leconte de Lisle, est inscrit au seuil de ce volume. L’auteur, avant de s’embarquer, l’a mis là comme un phare qui le préservât, lui et les autres, des écueils de la banalité et de la convention. Le souci de la forme, le respect de la poésie qui est chose sainte, voilà ce qu’il doit au maître[3]. »

  1. Claude Louis, les Poètes assis (Nouvelle Revue, 15 mai 1902).
  2. :De grands lits pleins d’odeurs et de phosphorescences.
    lisons-nous dans la pièce intitulée : Vénus, étoile du soir. C’est la reprise, insuffisamment déguisée, du vers célèbre, du vers admirable de Baudelaire :
    Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères.
  3. Le Chasseur bibliographe, février 1867 (non recueilli en volume).