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M. Verlaine grand gré du souci qu’il montre de la Forme[1]. » Ce culte de « la Forme » est, de toutes les leçons du Parnasse, celle que le biographe de Sylvestre Bonnard aie plus fidèlement retenue. Et c’est peut-être parce que la forme n’en était pas entièrement impeccable qu’il n’a pas recueilli un long poème de Thaïs, — ce sujet, on le voit, l’a hanté de bonne heure, — qu’il insérait dans une obscure revue parisienne, et sur lequel nous aurons lieu de revenir[2].

« J’ai vécu, nous dit quelque part M. Anatole France, d’heureuses années sans écrire. » Cela n’est pas tout à fait exact. Je ne me vante pas d’avoir retrouvé tout ce qu’a imprimé, — je ne dis pas écrit, — l’auteur de Crainquebille. Mais si, pendant une quinzaine d’années, jusque vers 1880 environ, ou même 1886, sa production n’a pas été très abondante, elle a pourtant été ininterrompue, et depuis 1867, il ne s’est point passé une seule année où il n’ait livré un certain nombre de pages à l’impression. Que d’ailleurs l’ambition littéraire lui soit venue de très bonne heure, c’est ce qui ressort de son premier écrit public, un devoir d’écolier, la Légende de sainte Radegonde, qu’un de ses oncles fît lithographier, et qui est dédié « à un père et une mère bien aimés. » — « Votre Anatole, y disait l’enfant, vous consacrera toutes les lignes sorties de sa plume ; sur chacune des pages qu’il écrira, vous pourrez lire : A mes chers parens[3]. » Dès l’âge de vingt-trois ans, nous le voyons collaborer assez activement à de modestes revues bibliographiques, le Chasseur bibliographe, l’Amateur d’autographes, la Gazette bibliographique, la Gazette rimée, le Bibliophile français : c’est là qu’il a fait ses premières armes de critique et d’écrivain. Enfin il publiait son premier livre : c’était une étude sur Alfred de Vigny (1868).

Quand on lit aujourd’hui ce petit volume, on est un peu déçu. Rien n’y fait prévoir un critique de premier, ou même de

  1. Le Chasseur bibliographe, février 1867 (non recueilli en volume).
  2. On y lit des vers comme ceux-ci :
    Elle avait de son corps fait à l’Esprit du mal
    Non pas un logement, mais bien un arsenal...
    Je me souviens l’ave que m’apprenait ma mère.
    « Cette pièce, disait une note, est extraite d’un recueil actuellement sous presse. » (Le Chasseur bibliographe, mars 1867.)
  3. Je dois à une aimable communication d’avoir pu prendre connaissance de cette plaquette qui est devenue extrêmement rare, et qui, comme bien l’on pense, n’est pas un chef-d’œuvre. Voici la dédicace de ce petit travail. Est-ce que je me trompe ? Il me semble déjà y reconnaître par places le rythme et le tour de phrase de M. France :
    « Chers parens, les premiers mots que prononce l’enfant sur la terre sont : maman, papa ! Ce sont les seuls mots qu’il sache ; aussi les applique-t-il à toutes choses : s’il souffre, il crie : « Maman ; » s’il veut quelque chose, il dit : « Maman ; » s’il a besoin d’aide, il appelle : « Maman. » Puis quand la mère lui a appris à exprimer quelques idées, il dit : « Maman, je t’aime ; papa, je t’aime. » Ces mots, hymne de reconnaissance que n’a dictés ni la crainte ni la cupidité, sont l’expression d’une amitié bien naturelle. Ainsi font tous les enfans, ainsi fit votre Anatole. Maintenant que, grâce à vos soins, il apprend à parler le langage des hommes, il ne sera pas plus ingrat que le petit enfant qui exprime son amour pour sa mère avec tant de simplicité et de vérité ; il vous consacrera toutes les lignes sorties de sa plume ; sur chacune des pages qu’il écrira vous pourrez lire : « A mes chers Parens. » D’ailleurs, à quels juges plus indulgens et mieux disposés que vous en ma faveur pourrais-je présenter mes faibles essais ? Votre fils dévoué : Anat. Fr. Th., 20 novembre 1859. »