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à un journal pacifiste, anticlérical et antibonapartiste que Ch.-L. Chassin essayait de lancer, en 1868, sous le titre de la Démocratie[1], et il se laissait enrôler parmi les « sociétaires fondateurs » de l’entreprise. D’autre part, il collaborait à l’Almanach de la Révolution pour 1870, et y publiait une pièce de vers, assez déclamatoire, sur la Mort d’un juste (Billaud-Varenne) :


Et l’âme de Billaud-Varenne s’exhala
En grondant l’entretien d’Eucrate et de Sylla.


Et enfin, sous le voile transparent d’une fiction antique, il insérait, dans une petite revue[2], deux poèmes, Denys tyran de Syracuse et les Légions de Varus, qui sont de si violentes satires du régime impérial, qu’elles faillirent lui attirer quelques difficultés judiciaires. Le « tyran » parlait ainsi :


Si certains sont tentés de répandre, imprudens !
Le miel que sur leur langue a mis l’Abeille antique,
Qu’ils se coupent plutôt la langue avec leurs dents.
Pour que vous l’approuviez, voici ma politique.


Et dans les Légions de Varus, la Patrie interpellait Auguste en ces termes :


« César, rends-moi mes fils, lui dit-elle, assassin !
Rends-moi, rends-moi ma chair et le sang de mon sein.
César, trois fois sacré, toi qui m’as violée,
Et qui m’as enchaînée, et qui m’as mutilée !… »


Si le poète des Châtimens, sur son rocher, a lu ces vers, il a pu se dire qu’il avait fait école.

De toutes ces influences combinées et librement acceptées, ou plutôt ardemment embrassées, il s’est formé un état d’esprit très curieux, très cohérent aussi, qui, avec certaines nuances provenant des divergences individuelles de tempérament ou d’éducation, a été, entre 1865 et 1870 environ, comme le fonds commun de toute la jeunesse française. C’est sur ce fonds,

  1. M. Georges Goyau, dans son beau livre l’Idée de patrie et l’humanitarisme (Paris, Perrin, 1902, p. 21), a publié le suggestif programme de ce journal.
  2. La Gazette rimée (20 mars et 20 juin 1867). — C’est dans cette revue que Verlaine a publié Fêtes galantes : « Votre âme est un paysage choisi… » et Trumeau. — Voyez encore sur tout ceci L. Xavier de Ricard, Anatole France et le Parnasse contemporain, dans La Revue du 1er février 1902.