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à la table de famille, sous la lampe qui brûlait avec une douceur infinie ! » Enfant rêveur, imaginatif et, à ce qu’il semble, un peu fantaisiste et distrait, plus porté à suivre sa fantaisie ou son caprice qu’à accepter une stricte discipline, l’éducation qu’il reçut a-t-elle suffisamment réagi contre cette disposition native ? On en peut douter. Ses parens, sa mère surtout, fondaient sur lui les plus grandes espérances : il serait le poète, l’écrivain que son père n’avait pu être ; et s’il est vrai que, « dans l’âge le plus tendre, » il fût déjà « dévoré par l’amour de la gloire » et qu’il « nourrît le désir de s’illustrer sans retard et de durer dans la mémoire des hommes, » on ne dut pas, autour de lui, décourager cette ambition enfantine.

Le moment des études venu, on mit l’enfant au collège Stanislas. « C’est Stanislas qui m’a élevé, a-t-il écrit un jour, je lui en garde une profonde reconnaissance. Et pourquoi serais-je ingrat ? Je n’y aurais aucun plaisir. Quant au profit, il est douteux. L’ingratitude est un plat qu’il faut savoir assaisonner. Souvent il incommode le cuisinier qui le sert. Aussi bien ai-je passé au collège Stanislas un temps très doux. J’en ai des souvenirs délicieux... La discipline n’était pas militaire. On nous donnait un peu de liberté, nous en prenions davantage ; et la vie était très supportable. J’ajouterai que je rentrais à la maison paternelle tous les soirs. Pensionnaire, j’aurais sauté par-dessus les murs. Je n’eus jamais aucun goût pour la caserne, et j’aurais fait un mauvais soldat. C’est peut-être pour cela que j’admire si fort l’armée. » Non qu’il admirât tout au vieux collège : s’il a gardé un excellent souvenir du directeur, l’abbé Lalanne, dont il nous a tracé un délicieux et vivant portrait, et qui, » éducateur incomparable, n’inspirait rien que de beau, de grand et de pur, » — ce doit être l’original de l’abbé Bordier dans les Désirs de Jean Servien, — il n’en est pas de même des surveillans : « c’étaient des espèces de moines en redingotes qui ne ressemblaient pas assez aux oratoriens d’autrefois. Ils manquaient de lettres ; ils étaient rustiques. Je n’ai jamais fait bon ménage avec eux. Ce n’est pas leur faute, mais je suis comme le vieux duc Pasquier, je n’aime pas les moines. » Quant aux professeurs, il déclare qu’il « en a eu bien des médiocres, avant de trouver en rhétorique l’honnête et sage M. Chéron[1]. » Et il

  1. La Vie à Paris, Temps du 6 août 1886 (non recueilli en volume).